Notre bonne ville de Nice fut le siège d’ une très importante Commanderie de l’ Ordre. En effet les relations privilégiées entre l’ Ordre et la ville connurent des circonstances d’ exception, et ce dès sa fondation, et encore plus particulièrement après la chute de Jérusalem, la Terre Sainte, l’ Orient et l’ île de Rhodes où l’ Ordre s’ était installé.
Le Grand-Maître Jean-Paul Lascaris habitait le prestigieux Palais familial de la rue Droite dans le Vieux-Nice, véritable joyau incontesté de l’Art “Baroque”, devenu musée après son acquisition par la ville de Nice.
C’ est donc après la perte de Rhodes que sont revenus le Grand Maître, Philippe de l’ Isle Adams, et de tous ses Chevaliers à Nice, où ils reçurent l’ hospitalité du Duc de Savoie, et où ils restèrent de 1527 jusqu’ à leur départ pour l’ île de Malte en 1529. L’île de Malte leur fut cédée par Charles Quint, grand protecteur des Chevaliers de l’ Ordre et ennemi éternel du Roi de France.
Ce départ pour l’ île de Malte ne signifie pas du tout la disparition des Commanderies de Nice et son Comté. En effet n’ oublions pas qu’ avec la Savoie et Chambéry, le Piémont, Turin et le Comté de Nice formaient un état tampon entre la France et tous les petit états italiens.
Les alliances Savoyardes ont eu une très grande importance, et l’unique accès de notre pays de jadis sur la mer était Nice, ou plus précisément Villefranche sur Mer, où étaient stationnées les galères de l’ Ordre.
D’ ailleurs en 1523 les installations de Villefranche sur Mer furent améliorées; c’ est aussi dans la Darse de Villefranche que se faisaient l’ entretien, l’ armement et la construction d’ autres galères.
Seule la Caraque, bateau du Grand-Maitre, était ancrée devant le petit port de Nice. ( La Caraque est un navire de 1000 à 1500 tonneaux, particulièrement bien équipé).
Rappelons ici que bien après le départ de l’ Ordre pour Malte en 1529, il eut le siège de Nice en 1543 par les armées Française et les Turcs de Soliman le Magnifique. Cette alliance provoqua un véritable scandale auprès de tous les Chrétiens d’ Europe. Ce siège fut repoussé et l’ assaillant battu par les assiégés Niçois, commandés par le Chevalier De Balbi de Quis.
De très nombreux Chevaliers issus de la noblesse Niçoise s’ illustrèrent, tant sur terre que sur mer, dès la fondation de l’ Ordre et pendant plusieurs siècles.
Jean-Paul Lascaris est décrit comme intelligent et austère, il a fait de très bonnes études et est très religieux. Orphelin à 12 ans, il a commencé en tant que préposé à l’ administration des grains ( à l’agriculture, dirait-on ajourd’hui !). Par la suite il fut prieur de Saint Gilles, ville très importante à l’ époque, et bally de Manosque , s’exprimant toujours en langue de Provence . A la mort du Grand-Maître Antoine de Paule, le 11 Juin 1636, étant Sénéchal à Malte, il fut élu le 57éme Grand-Maître de l’Ordre.
Jean-Paul Lascaris est resté fort peu populaire de nos jours dans la mémoire maltaise, il a laissé le souvenir d’un souverain contrariant et entêté, personnage assez peu sympathique. De nos jours encore, à Malte , on dit à propos d’ une personne très peu encline à sourire “Aquéu a lou moure coume Lascaris” c’est-à-dire “celui là, il a une gueule comme Lascaris “ .
Quoi qu’il en soit, son règne et son magistère furent parmi les plus importants qu’ ait connus l’ Ordre, ne serait-ce que parce qu’ils s’étallèrent sur 21 ans. Bien que déjà très âgé pour son époque – il avait 76 ans en 1636 -Jean-Paul Lascaris était de santé robuste et il fit preuve d une énergie très exceptionnelle.
Durant tout son règne les menaces d’ une attaque Turque étaient toujours présentes, car les convoitises turques sur l’ île de Malte étaient constamment d’ actualité. En conséquence Jean-Paul Lascaris poursuivait méticuleusement l’ œuvre de ses prédécesseurs en complétant la ceinture de fortifications autour de La Valette, la capitale, et de son grand port. Au sud de la capitale furent construites d autres murailles, tandis que la protection de trois citées était assurée vers l’ est. Ces travaux considérables s’ avèrent très coûteux.
Jean-Paul Lascaris dut recourir à deux énormes emprunts. A La Valette, il fit apporter des aménagements au Fort Saint-Elme et une nouvelle enceinte extérieure doublant la première. Le môle fut agrandi et une voie de quai établi en perçant le rocher par un tunnel achevé en 1687. La marine de l’ Ordre s’ enrichit en 1652 d’ une nouvelle galère, offerte par le Grand-Maître. L’ entretien et l’ armement en étaient assurés par les revenus de “ la fondation Lascaris “ (qui possédait des biens jusqu’ en Sicile et également à Rome) richement dotée par le Prieur de Capoué et Pierre Lascaris.
Diverses expéditions furent lancées contre des corsaires de Tripoli et Algériens. A la demande de Venise, assaillie par la flotte Turque, 20 vaisseaux marchands furent capturés par l’ Ordre, ainsi que le renégat Ibrahim Rais. La plus brillante entreprise fut menée en 1639 contre Tunis avec la prise de 6 navires. Mais aussi le 25 aout 1640, les flottes
de Venise et de l’ Ordre furent victorieuses sur les Turcs à Ténédos et dans les Dardanelles où 7.000 Chrétiens furent libérés.
Evoquons encore Candie, en Crète, qui fut assiégér pendant 21 ans par les Ottomans. Le plus long sièges de toute l’ histoire. Les Vénitiens, alors maîtres de l’ île furent très rapidement aidés par l’ Ordre.
Plus tard, s’ensuivit une aide de troupes de tous les pays de l’ Europe ainsi que du Grand-Maître des Teutoniques.
L’ évènement le plus imprévu du Grand Magistère de Jean-Paul Lascaris est l’ acquisition par l’ Ordre en 1653 des îles de Saint-Christophe et de Sainte-Croix aux Antilles.
L’une des grandes préoccupations pendant le règne de Jean-Paul Lascaris était de donner du grain à la population de Malte, ceci grâce aux approvisionnements de Sicile. Jean-Paul Lascaris fut même amené à acheter du grain sur ses propres deniers, faisant ainsi preuve d’ une grande charité.
Il fut beaucoup moins heureux dans le grave conflit qui opposa la population aux Jésuites, qui éclata à l’ occasion du carnaval, la population maltaise se déguisant et
tournant les religieux Jésuites en ridicule. La rébellion n’ épargna pas le Grand-Maître, qui s’apprêtait à éloigner les Jésuites de Malte, mais qui fut désavoué par Pape Urbain VII .
En 1643, dans le petit port de l’ îlot de Marsamxet, Jean-Paul Lascaris édifia le Lazaret. Malte lui doit la première imprimerie qui fut installée dans le Palais Magistrale en 1650, avec l’édification plus tard d’ une grande bibliothèque publique. Il fit également édifier un mail, réservé au jeux de ballon, dont il encouragra vivement la pratique par les Chevaliers.
Le Grand-Maître Lascaris n’ oublia pas pour autant ses liens avec Nice et sa région. Il acheta des moulins et des fours et offrit ces équipements à une nouvelle Commanderie à Lucéram.
Jusqu’ en 1738, ses petits-neveux et arrières petits-neveux, propriétaires du Palais Lascaris, furent titulaires et usufruitiers de cette Commanderie.
En 1642, il chargea son neveu, le Maréchal de Camp Jean-Baptiste Lascaris, d’apporter à la cathédrale Sainte- Réparate de Nice les reliques d’ un Saint-Vincent Martyr, enfermées dans une chasse d’ ébène et d’ argent magnifiquement sculptée.
L’église paroissiale de Castellar bénéficia également des largesses de Jean-Paul Lascaris, ainsi que d’autres membres de sa famille.
Après sa mort, le 14 août 1657, à l’ âge très vénérable de 97 ans, un mausolé lui fut élevé par des Chevaliers de sa parenté et l’ Ordre, dans l’ Eglise conventuelle des Chevaliers, actuellement Co-Cathédrale de Saint-Jean-Baptiste à La Valette.
En son souvenir nous conservons des documents, portraits, marbres, vêtements liturgiques, estampes, monnaies. Citons entre autre l’ ecu gravé de son nom et armoiries, orné d’un côté de son blason et celui de Malte, et de l’ autre côté de la représentation de Saint-Jean- Baptiste.
Son Palais de la rue Droite dans le Vieux-Nice, classé monument historique depuis 1946, fut vendu à la Révolution et divisé en appartements au 19ème siècle.
Le Palais fut racheté par la ville en 1943 et ouvert au public en 1965 après une longue et minutieuse restauration. Le Palais, dont la visite est gratuite, comme tout les mussés municipaux, constitue un unique témoignage,le plus luxueux , magnifiquement conservé, une pure merveille baroque. L’accès aux étages se fait par un escalier monumental orné de fresques, fermé par des galeries d’ arcades. L’étage de maître, décoré de précieuses tapisseries flamandes présente un mobilier d’ époque, faïences, etc… ainsi qu’une étonnante chapelle privée.
Notons que le musée Lascaris n’ est pas consacré au Grand-Maître ni à sa famille, mais abrite les Arts et les traditions populaires, dont une fabuleuse collection d’ instruments de musiques anciens, exposés en permanence, qui est la 2ème plus important après celle du musée de la musique de Paris, loin devant Milan, Vienne et Londres.
Une rue porte le nom de Lascaris à Nice, à la gloire de la famille entière, avec ses Amiraux, Grands-Chambellans, Seigneurs, Comtes, officiers des Armés Sardes et Savoyards … .
Le Duc de Savoie, Charles Emmanuel, fils d’ Emmanuel Philibert, qui fit, entre autre, construire la Citadelle de Villefranche sur Mer, disait que “ les Lascaris étaient la famille la plus prestigieuse el la plus importante du Comté de Nice “.
Rendons donc un hommage très mérité au Grand-Maître Niçois de l’ Ordre, Jean-Paul Lascaris, à son magistère de 21 ans, sans oublier ses prédécesseurs et ses successeurs: tous ont consacré leur énergie et leur vie à leur cause, ils ont peiné et souffert dans leurs combats, y perdant souvent leurs meilleurs Chevaliers.
par Zacharie Van Goey