Marisol Touraine, ministre de la Santé, vient d’annoncer la généralisation du tiers-payant d’ici à 2017..Il permet aux patients de ne pas payer la consultation de leur généraliste, qui se fait directement rembourser par l’Assurance-maladie et la complémentaire. Un système déjà pratiqué dans la plupart des pays européens.
La Confédération des syndicats médicaux français a exprimé son « scepticisme » après l’annonce de la généralisation du tiers payant par Marisol Touraine.
De son côté, la Fédération des médecins de France a prévenu qu’elle allait s’opposer à cette « mesure démagogique ».
En Europe, avancer les frais d’une consultation chez le généraliste relève de l’exception. Parmi les vingt-huit pays membres de l’UE, seuls quatre exigent des patients qu’ils avancent le paiement d’une consultation chez le généraliste.
Comme en France, certains pays européens ont adopté le principe du médecin référent. Il leur garantit à la fois une prise en charge de leurs consultations par les organismes publics et celle des soins des spécialistes vers lesquels ils seront orientés.
Le chemin des réformes étant … escarpé, les idées et intérêts étant divergents, voir opposés, nous publions également une contribution de Hervé Cael, personne impliqué dans la vie associative et politique et de plus médecin de son état.
Et si le tiers payant généralisé des honoraires médicaux était le prototype même une fausse bonne idée ?
En matière de santé il semble que la dernière trouvaille du gouvernement soit de remettre sur le tapis la généralisation de la dispense d’avance des frais pour les honoraires médicaux.
A première vue une telle décision peut paraître particulièrement avantageuse pour les patients qui pourraient ainsi consulter un médecin sans bourse délier. Mais au risque de m’exposer à la vindicte populaire je souhaite m’attarder, de manière critique, quelques instants sur une telle mesure. Mes oreilles résonnent déjà en effet des accusations de corporatisme ou de libéralisme à outrance, incompatible avec un des défis majeurs de notre société : l’accessibilité aux soins.
Pour balayer cet argument rappelons donc immédiatement que la réglementation actuelle permet largement au médecin de faire bénéficier ses patients du tiers payant. Le tiers payant pour les honoraires médicaux se pratique en effet dans de nombreuses situations : accidents du travail, maladies professionnelles, actes de prévention réalisée dans le cadre d’un dépistage organisé, honoraires perçus au cours d’une hospitalisation dans un établissement conventionné, soins dispensés aux personnes bénéficiant de la couverture maladie universelle (CMU) ou de l’aide médicale d’État (AME), actes dans le cadre de la permanence des soins …
Cette liste n’est ni exhaustive ni limitative et chaque médecin à la possibilité d’accorder le tiers payant aux patients qui le nécessitent, en particulier ceux confrontés à des difficultés financières (Sources : site de l’assurance maladie). Il faut maintenir ces dispositifs.
Dans ces conditions on peut s’interroger sur les annonces du ministre de la santé dans ce domaine. Dans le meilleur des cas nous assistons à une nouvelle opération de communication … mais je n’ai exclu nullement une nouvelle poussée de dogmatisme aigu.
François Hollande lui-même dans son projet présidentiel n’évoquait pas une généralisation du tiers payant. Je reprendrai ici sa position : « Je sécuriserai l’accès aux soins de tous les Français en encadrant les dépassements d’honoraires, en favorisant une baisse du prix des médicaments et en supprimant le droit d’entrée dans le dispositif de l’aide médicale d’État »
La généralisation du tiers payant des honoraires médicaux n’est pas seulement inutile, elle présente un nombre non négligeable « d’effets secondaires » :
Inévitablement cette mesure conduira à une augmentation du nombre des actes médicaux par une déresponsabilisation des patients. Au risque de ne pas être politiquement correct je soulignerai ici une réalité connue de tous les praticiens : la différence de « consommation » médicale entre les patients faisant l’avance des honoraires et ceux qui en sont dispensés. Il est évident que d’autres facteurs interviennent en particulier ceux liés au niveau de « culture médicale », mais la pratique quotidienne plaide en faveur de comportements particuliers en cas de tiers payant automatique.
En tant que médecin une position taxable de corporatiste serait de cautionner un système qui engendrerait une inflation du nombre d’actes. Méfions-nous de ne pas nous focaliser sur l’arbre qui risquerait de cacher la forêt.
La généralisation du tiers payant entraînera inévitablement une bascule des fondements mêmes du système de santé français. Une consultation médicale représente un colloque singulier entre un praticien et son patient. Comment ne pas imaginer que la généralisation du tiers payant ne modifie pas à court ou moyen terme cette relation si particulière et indispensable entre un malade et son médecin.
Beaucoup vantent, à juste titre, la qualité du système de santé en France. Nous devons cependant garder à l’esprit la fragilité d’une organisation de plus en plus technique et complexe, dans un environnement économique contraint, basée sur quelques piliers fondamentaux.
Parmi ceux-ci citons la coexistence d’un secteur privé et le secteur public et la responsabilisation du corps médical et les patients. Prenons garde à ne pas commettre des erreurs que nous mettrions des années à réparer.
Dr Hervé Cael
Président de l’association Vivre Nice