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25 novembre 2024

Albert Marouani : Etat des lieux de l’Université (Premier Chapitre)

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Nice-Première : Vous êtes président de l’Université Nice Sophia Antipolis (UNSA) depuis mai 2004. Pourquoi avoir choisi ce poste à haute responsabilité ?

Albert Marouani : Marouani_patinage_002.jpg Au moment où j’ai décidé de me présenter à la présidence, j’étais à sept ou huit ans de la fin de ma carrière. J’avais déjà exercé dans le passé des postes de doyen ou dans l’administration de laboratoire de filière de programme de coopération internationale. Je me suis dit que c’était peut-être l’occasion de faire véritablement quelque chose pour mon institution. D’autant plus qu’en fin de carrière on est plus libre. On est dans une phase où on peut tout donner sans rien demander. D’un point de vue personnel, je trouvais que j’avais une dette envers la ville de Nice qui m’avait accueilli en 1956. Il fallait que je fasse quelque chose pour donner à cette ville ce qu’elle m’avait apporté.
Le dernier élément à intervenir dans cette décision, c’était que les Universités étaient en crise, les disciplines scientifiques en déclin et que les enjeux dans une économie mondialisée de la connaissance étaient capitaux et fondamentaux. Si on ne réagissait pas, on allait sombrer dans un déclin très lent, à la fois des universités mais également de notre pays.

NP : Vous vous sentiez comme un missionnaire ?

AM : Peut-être pas un missionnaire. Mais je sentais que je pouvais faire quelque chose. J’avais des idées et je devais tenter de les mettre en œuvre. Pour cela, il fallait occuper un poste à responsabilités. J’avais l’impression que je devais m’engager. On arrive à un moment où on n’a plus grand-chose à prouver. Être président c’est un challenge. C’est totalement gratuit. Ce n’est pas un tremplin, c’est désintéressé mais également intéressant. Relever ce défi est une excitation intellectuelle, civique.

NP : Comment trouviez vous l’UNSA à votre arrivée ? Quel a été votre premier constat et votre première urgence ?

AM : L’université de Nice est jeune, seulement quarante ans. Elle s’est développée, a connu des périodes de crise comme toutes les universités. On arrivait dons en 2004 à un moment où il fallait changer très vite de vision, de comportement et de politique. On était dans un processus de renouvellement à la suite de nombreux départs en retraite, cinquante à soixante chaque année. Quand on recrute c’est pour trente ans. Il faut donc assurer l’avenir.

En même temps, c’était la période de mise en place du système LMD, d’une inscription dans l’espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans un monde devenu de plus en plus concurrentiel où il fallait être en concurrence avec les universités européennes et mondiales. Il fallait changer de braquet, ne plus vivoter dans un confort d’une fonction publique ou d’une institution. Dans ma candidature, il y avait l’idée de passer à une vision du développement de l’université, non pas que mes prédécesseurs n’aient pas fait ce qu’il fallait mais chacun était arrivé lors d’une phase historique. Je devais coller moi aussi à ce nouveau changement du LMD, de compétition dans le monde de la recherche, de défis importants en terme d’attractivité de l’Université par rapport à l’extérieur et de capacité d’amener nos étudiants vers la vie active et l’insertion professionnelle. C’était un tournant, il ne fallait pas le louper.

NP : L’Université Nice Sophia Antipolis est une ville dans la ville. Une ville est très compliquée à gérer, une succession d’accord et de désaccords après chaque décision, des luttes d’influence, des dépendances extérieures financières et institutionnelles. Ce parallèle est-il juste ?

AM : Une ville dans la ville ? C’est à la fois vrai et pas vrai. C’est vrai si l’on considère que dans Nice nous avons sept campus qui vont de l’est à l’ouest, de Saint Jean d’Angély à la Plaine du Var. On couvre toute la ville. Le nombre d’étudiants dans la ville est tout de même conséquent et contribue à son animation. Nous sommes enfin perçus par les collectivités territoriales comme un enjeu majeur d’un développement local. Le Pôle Universitaire Saint Jean d’Angély a permis de développer le quartier avec le Tram, les magasins sont renouvelés, la vie de quartier a changé, le prix des terrains a augmenté. Il y a eu une rénovation urbaine.

Chaque étudiant dépense en moyenne 1000€ par mois, multipliés par 26 000. L’université investit, paie aussi des employés qui vivent dans la ville, fait des animations. L’implantation universitaire a un impact fort dans la ville.

On n’a pas réussi à marquer l’existence de l’université dans la ville. La signalétique est faible. Si vous êtes sur la voie rapide, à aucun moment vous ne verrez un panneau « Université Nice Sophia Antipolis ». Au bout d’un an de discussion avec la mairie de Nice et Agnès Rampal chargée de l’enseignement supérieur, on a pu avoir une signalétique sur chaque campus… Rien n’indique dans la ville pour un habitant où est l’université.

Enfin, on ne se rend pas compte de l’unité de l’UNSA. Les étudiants, eux-mêmes, ne voient l’université que par un bout. Un étudiant de Lettres ne connaît pas les autres campus. Les habitants imaginent qu’il y a autant d’université que de campus. En plus, l’UNSA est éclatée aussi dans le département avec des implantations à Sophia Antipolis, Cannes et Menton, bientôt à Saint Etienne de Tinée.

NP : La lisibilité de l’UNSA est un de vos combats ?

AM : Effectivement. Il faut que l’Université soit appropriée à la fois en interne par ses usagers (étudiants, enseignants, personnels) pour qu’ils aient le sentiment d’appartenir à un ensemble unique mais aussi par les citoyens de la ville et du département. Elle est très méconnue par la population mais aussi par les acteurs publics.

Prenons l’exemple ailleurs. Lorsqu’un étudiant est diplômé on dit qu’il est diplômé de l’université d’ Harvard ou de Berkeley, Cambridge ou Oxford. Nous, ici, on va vous dire « je suis diplômé de l’institut d’administration des entreprises de Nice, de l’IUT de Nice, de la Faculté de Droit de Nice. Cela rend l’université opaque et en plus on utilise des sigles incompréhensibles : ufr, iae. Ca donnerait plus de poids à l’institution et à tout le monde si on disait simplement « Université de Nice Sophia Antipolis ». Unis, les gens apparaissent beaucoup plus forts. C’est un combat de tous les jours d’amener cette lisibilité sur le plan local, national et international. On a réussi en deux ans à entrer dans le classement de Shanghai. On fait partie des 21 universités françaises qui y figurent.

NP : C’est une fierté ?

AM : Oui. Il faudrait y être mieux classée. On est dans les 500 premières mondiales. On y est malgré les handicaps que souffrent l’Université Française et dont ne souffrent pas les autres. On a des moyens inférieurs, le coût par étudiant est faible, le paysage universitaire est éclaté avec certaines facultés ayant des statuts particuliers et des grandes écoles à part contrairement à ce qui se fait ailleurs dans le monde. Le CNRS, l’INSERM… se trouvent en dehors de l’université. HARVARD Business School est l’école de commerce qui appartient à Harvard, pareil pour Harvard Medical School. Avec le système en France, les publications de chercheurs du CNRS sont fichées « CNRS » et ne paraîtront jamais dans le classement de Shanghai même si le chercheur provient de l’Université de Nice et même si la recherche se fait au sein de nos locaux. Le classement se fait par le nombre de publication de l’université. Si un étudiant de Lettres écrit un article en signant Fac de Lettres, cet écrit ne pourra pas être répertorié dans le classement. Tout ça pour dire que l’absence d’unité ne permet pas de donner du poids à l’Université Française dans le paysage européen et international. Si malgré cela on figure dans ce classement, c’est qu’on n’est pas si mauvais.

NP : Quelles sont les principales difficultés ? Dominique de Villepin a annoncé jeudi le déblocage immédiat de 75 millions d’euros pour « achever les projets de construction de bâtiments universitaires et de logements étudiants ». Allez-vous avoir une partie de ces 75 millions et quelle sera votre priorité ?

AM : J’ai appris comme vous par la radio ce déblocage de moyens. Nous allons bien sur demander d’avoir une part de ce budget d’autant plus qu’après quarante ans d’âge, une université jeune comme la nôtre a de vrais problèmes d’entretien des bâtiments. Sur le Parc Valrose, par exemple, vous verrez beaucoup de plaques marquées avec une croix, cela signifie qu’elles menacent de tomber. Dominique de Villepin a annoncé 75 millions, il nous faudrait 80 millions pour rénover tout le patrimoine immobilier. Les 75 millions annoncés par le Premier Ministre, c’est pour l’ensemble des Universités dont certaines sont dans un état déplorable. J’ai exagéré un peu avec 80 millions. Il nous faudrait minimum 40 millions pour remettre en état les laboratoires, les bâtiments, refaire un système adapté de tuyauterie, de chauffage, d’électricité, de mises au norme, pour l’hygiène et la sécurité. L’état de la piscine de la Fac de lettres est déplorable. On fait du bricolage depuis des années pour la maintenir ouverte. Le toit et le bassin fuient. Il y a des problèmes d’hygiène dans les vestiaires qu’il faut sans cesse régler. Il nous faudrait 5 millions pour cette piscine et on ne les a pas. Il faudrait rénover la BU de Lettres. C’est 4 ou 5 millions d’euros.

NP : C’est à l’université d’engager ces frais ?

AM : On est un peu aidé. On a un budget patrimoine mais il recouvre à peine la maintenance minimale. Les maintenances lourdes c’est réhabiliter une salle de classe par exemple. On va donc demander des crédits. Il faudra faire un peu de lobbying.

NP : Ce n’est pas à l’Etat de le faire ?

AM : Les bâtiments appartiennent à l’Etat. Logiquement ce serait à lui. Le budget d’une Université c’est 60% l’Etat, 15 à 20% les frais d’inscription et les reste des contrats et un peu les collectivités territoriales. Manifestement, l’Etat dit qu’il est endetté et qu’il n’a plus de quoi payer. Dans quelques mois, après les élections, il faudra trouver une solution.

NP : Pourquoi pas avant ?

AM : Qui va s’engager à sept mois des élections ? Il s’agit d’un sujet délicat. Diversifier les ressources financières de l’université, c’est lui donner plus d’autonomie et c’est très délicat… Si on passait les frais d’inscription à 1000€ (200 actuellement) comme en Italie je pourrais faire beaucoup de choses. Mais les étudiants n’en veulent pas. Par conséquent, il faudrait le prélever sur la fiscalité. Une collectivité, sachant ce que rapporte une université dans une ville et un département, pourrait donner 1000 euros par étudiant. Cela changerait la donne. C’est un travail de longue haleine pour convaincre les collectivités territoriales qu’elles ont à changer de point de vue par rapport à l’Université. Elles ne doivent plus considérer l’enseignement supérieur et la recherche comme une subvention mais comme un investissement et elles y gagnent. Pour l’instant, ce n’est pas dans leur attribution légale.

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