« « On fait comme ça et je vais recevoir les experts parisiens qui devraient débarquer dans moins d’une heure. J’espère qu’ils ne vont pas nous envoyer des gratinés, cette fois… » termina Vincent qui rejoignit son bureau… »
Le trafic sur la Promenade était assez fluide et la Guzzi virevolta entre les véhicules pour se retrouver pile à l’heure devant les grilles du collège où attendait Francesco.
« Papa, tu peux me déposer chez Tatie car on doit bosser mon devoir de français pour demain ? » demanda le fils à son père tout en lui donnant un baiser appuyé.
« Allez grimpe, je te dépose et ensuite je dois rejoindre Vincent chez le Maire. Je repasse te chercher après, comme ça on va au corso nocturne du Carnaval et, ensuite, on ira manger un morceau à « l’Agua ». Alex m’a laissé un message en me disant qu’il avait reçu une petite surprise de son pêcheur. » Répondit Fred.
« Génial, en plus Alex m’a dit qu’il avait un album inédit de Kiss à me passer» s’enthousiasma Francesco en enfilant son casque. Il enfourcha la moto puis en serrant fort son papa contre lui, et les deux motards filèrent alors vers les collines niçoises. Juste le temps de déposer son fils et Fred rejoignit son patron.
« Ils nous attendent en haut. Je te parlerai des Parisiens après… » Résuma rapidement Vincent qui attendait Fred devant les grilles de l’Hôtel de ville et les deux hommes entrèrent dans le bâtiment presque vide à cette heure-ci.
« Monsieur le Maire vous attend dans son bureau » La secrétaire s’était levée à leur arrivée et avait ouvert le sas menant au vestibule du bureau de l’édile
« Entrez Messieurs, je vous en prie. » Le Maire était seul, ce qui étonna un peu les deux officiers et rassura franchement Fred.
« Alors, en savez-vous davantage sur cette affaire ? » Questionna rapidement le premier magistrat de la ville. Fred lui fit un rapport complet de la situation.
« Un tueur en série qui se sert de la cuisine niçoise. Mais, qu’est-ce que c’est que cette folie ? » Le Maire semblait abasourdi, quoique désemparé. Il est vrai qu’une affaire comme celle-là, à quelques semaines des élections municipales et en plein Carnaval de la gastronomie, n’était pas pour lui plaire.
« Nous avons reçu le renfort d’une brigade spéciale qui vient d’arriver de Paris, Monsieur le Maire, et ils nous attendent au commissariat pour le débriefing » expliqua Vincent, fort de cette nouvelle qu’il espérait rassurante.
Situation explicitée, détails donnés, l’élu les remercia tout en les félicitant, une nouvelle fois, pour leur travail. Il leur tendit enfin, à chacun, une carte de visite : « C’est mon numéro personnel, vous pouvez m’appeler à toute heure du jour comme de la nuit, Messieurs. ».
« Je suis venu à pied, tu m’amènes ? » demanda Vincent en arrivant près de la moto de Fred. « Pas de souci, tiens. » Et Fred lui tendit le casque de Francesco qu’il venait de sortir de sa sacoche arrière.
C’est en quelques minutes qu’ils arrivèrent au bureau, puis dans la grande salle de réunion. Celine et Jeff étaient déjà installés et, à côté d’eux, étaient assis trois personnes, une femme en tailleur bleuté et deux hommes en costume gris, paraissant, somme toute, assez jeunes.
« Bonjour Inspecteur, je suis Nicolas Pommier et voici Marine Nierbren et Julien Sborgni, mes deux collaborateurs. Enchanté de faire votre connaissance. » Celui qui semblait le plus vieux des trois s’était levé pour faire les présentations en lui tendant la main. Une, deux puis trois poignées enchainées et la séance de travail pouvait enfin commencer. Fred fit un rapport complet des différentes pistes et les trois spécialistes notaient tout frénétiquement sur leur mini ordinateur portable.
« Merci pour votre présentation inspecteur. Voilà, nous avions déjà travaillé de notre côté sur un profil possible mais, n’ayant pas encore les informations que vous venez de nous communiquer, nous allons devoir refaire un point plus précis. Quoi qu’il en soit, nous penchons pour un homme, pas forcément jeune et ayant un rapport, plus ou moins lointain, avec le monde de la cuisine, et donc, particulièrement, de la cuisine niçoise. En effet, comme le disait la Présidente du « Cercle de la Capelina d’Or », il semblerait que le tueur punisse ses victimes en les exécutant par là où il considère qu’elles ont pêché. C’est assez classique mais la récurrence des meurtres va nous obliger à agir très vite, si on ne veut pas accumuler les victimes ».
Ayant trouvé la présentation de Nicolas très claire, pleins d’autosatisfaction, les trois « Nordistes » se levèrent d’un seul homme pour rejoindre le bureau qui avait été mis à leur disposition, leurs portables sous le bras.
« Mais, c’est quand même un truc de malade ! » s’exclama Céline.
« A qui le dis-tu, Céline, et personne de nous n’avait fait ce rapprochement. Il faut dire qu’il fallait le trouver, ce mobile ! » Répondit Fred, dubitatif.
Mais, il enchaîna : « Il faut réunir les autres et leur faire un topo complet de la situation, je veux toutes les équipes en alerte et les effectifs au maximum autour des restaurants proposant de la cuisine niçoise. Céline, appelle l’Office du Tourisme, tu demandes un rendez-vous avec Denis Zanon de ma part, Mme Graglia m’a dit qu’il gérait le label « Cuisine Nissarde » garant du respect du patrimoine de la cuisine niçoise. Tu lui demandes aussi de t’envoyer au plus vite la liste de tous ces restaurants et tu la communiques à toutes les équipes en place. Je veux une surveillance 24h/24h de tous ces établissements » Céline notait le plus vite possible sur son bloc, songeant que Fred devenait fou, et fila illico dans son bureau en quête de la fameuse liste.
« Viens, on va rejoindre nos amis parisiens, ils ont peut-être découvert quelque chose » invita Fred à qui il restait un peu de souffle et les deux hommes pénétrèrent, non sans avoir frappé dans le bureau mis à disposition aux Experts de la capitale.
« Entrez Inspecteur, on a peut-être quelque chose d’intéressant. On a croisé les fichiers de nos différents bureaux et agences et deux noms semblent accumuler de nombreuses coïncidences frappantes : Emile Gaspardi et Fernand Baral. Un seul souci, ils ne sont, ni l’un ni l’autre, Francs-Maçons » minimisa Nicolas.
Fred rebondit sur ce que venait de dire le chef des experts : « Je ne sais pas ce que vaut ce renseignement mais je dois me rendre à une tenue, demain soir, pour rencontrer l’ensemble des frères. Il ne faut pas écarter cette piste, je suis dessus. Vous, poursuivez vos investigations sur ces deux bonhommes et on se fait un point demain, ok ? » Fred était le chef, et comptait bien le rester. Il avait dicté ses dernières consignes une dernière fois avant que chacun puisse enfin souffler un peu, et, pourquoi pas, prendre un peu de temps pour eux, et le bon.
Pour Fred, la soirée se déroula comme il l’avait prévu : corso nocturne du Carnaval puis un dîner en tête à tête avec la prunelle de ses yeux. Et, effectivement, Alex n’avait pas menti puisqu’il avait reçu de merveilleux Saint-Pierre qu’il avait préparés en croute de chorizo avec des petites crevettes grises de Villefranche et une polenta crémeuse iodée. La panna cotta au caramal beurre salé et spéculos aura été le dernier plaisir de la soirée avant que père et fils ne retrouvent leur lit respectif
Le réveil matin branché sur France Info entonna ses premières paroles au milieu du journal de 6 heures et c’était toujours autant le bordel en Ukraine mais le tueur en série niçois avait fait son apparition dans les gros titres. Fred se leva dès le jingle de la matinale et se dit, une fois de plus, que la nouvelle animatrice n’était franchement pas à son goût.
Un coup d’œil dans la chambre de Francesco qui était encore profondément dans les bras de Morphée et direction la salle de bain pour une douche et un rasage réparateurs. Et, le rasage était, de loin, l’un des moments que Fred préférait. Un début de journée en face à face avec soi-même avec la délicate mission d’essayer de rendre le plus présentable possible un visage plus ou moins fatigué par la soirée précédente. Heureusement, le chantier n’était pas des plus compliqués, se dit Fred, en étalant son gel qui se transforma instantanément en mousse au contact de sa barbe naissante. A la radio, la pause musicale envoyait les sonorités plutôt plaisantes d’un groupe breton. Les premiers coups de lame vinrent éliminer les poils disgracieux et Fred enclencha un récapitulatif des derniers événements.
Mais, une pensée n’avait pas quitté Fred depuis qu’il avait ouvert les yeux. C’était la première fois de sa vie qu’il allait assister à une réunion maçonnique. Certes, il avait bien des amis qui s’étaient confié à lui comme étant des « frangins » et il en avait aussi auditionnés dans le cadre d’une affaire lorsqu’il était encore enquêteur. Pourtant, jamais il n’avait encore reçu d’invitation à rejoindre ce « cercle de pensée », comme le définissait l’un de ses mentors.
A l’arrivée devant son dressing, Fred opta pour du sombre et une cravate du même effet, il avait trouvé l’information en fouinant sur la toile. Sacoche, casque, blouson et un dernier baiser à Francesco et il était déjà sur le boulevard Carnot en direction du port. La journée s’annonçait belle, tout au moins côté ciel, se disait Fred en roulant presqu’au pas, ce qui lui permit certainement de sentir les vibrations de son téléphone. Numéro inconnu.
« Fred Ségur, bonjour ! ».
« Bonjour Monsieur Ségur, ouvrez bien vos yeux et vos oreilles ce soir, et ce ne sont pas des Parisiens qui vous seront très utiles dans cette affaire. » La même voix que la dernière fois , se dit Fred qui répondit du tac à tac : « Je ne compte pas sur eux, ni sur personne d’ailleurs mais je vous remercie de votre aide. » Il était content de sa phrase.
« Vous êtes la personne idéale pour stopper tout ça. Et, ne me remerciez pas Monsieur Ségur, vous ne me connaissez pas, et si vous me connaissiez, vous ne remercierez peut-être pas. » Cette phrase marqua la fin de la conversation, encore sous les 20 secondes, donc totalement intraçable.
Fred décida de garder ce nouveau coup de fil pour lui et repartit en direction du commissariat.
Les médias étaient toujours bien présents avec deux camions-régies installés devant l’entrée annexe du commissariat mais la horde ne se reforma pas à l’arrivée de Fred. Marie et Jeff étaient déjà en place. « Un café, Fred ? » Offrit Céline.
« Volontiers, et rejoignez-moi dans mon bureau. » répondit Fred, ouvrant sa porte vitrée en déposant casque et blouson sur son porte-manteau. « Voilà Chef, un noir serré sans sucre. » « Humm, merci bella. » Fred demanda à Jeff de fermer la porte et leur raconta le nouveau coup de fil : « On garde ça pour nous et pour le patron, je n’en parle pas aux experts, on ne dit rien à personne ok ? » s’assura-t-il
« Ok boss ! » répondirent les deux adjoints au garde-à-vous. Juste à temps pensa Fred en voyant rentrer les trois experts par la grande porte du commissariat et se diriger vers son bureau.
« Bonjour à toutes et tous » entonna chaleureusement Nicolas. Et, chacun y alla de sa poignée de mains ou de sa bise. « Nous avons travaillé sur nos deux suspects mais sans grand succès. Nous les avons placés sous écoute et sous surveillance depuis hier soir mais, rien depuis. » Les nouvelles avaient été données par la jeune femme du trio, Marine, que Fred semblait découvrir pour la première fois après l’avoir pourtant déjà vue, la veille.