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22 novembre 2024

Hitler : dossier secret et construction du mythe.

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dossier_hitler_640x480_.jpg Ce n’est pas faire l’apologie du nazisme que de constater ce fait : toute publication d’un document sur Hitler suscite encore un réel intérêt. Il y a dans le personnage une noirceur tellement vertigineuse qu’elle ne peut manquer d’interroger – avec l’inquiétude ambivalente d’aborder un territoire maudit – l’humain en quête de sens et de compréhension sur cette période sombre de l’histoire moderne. Peut-être est-ce là une manière de contourner ce que, de Primo Levi à la psychanalyste Anne-Lise Stern (Le savoir déporté, Seuil, 2004) en passant par Lanzmann, les survivants des camps de la mort énonçaient comme un absolu de la destruction psychique. Leur ultime tentative pour cerner mentalement le comble de l’horreur était brisée net par la réponse des SS : « Hier ist kein warum ! » ( ici pas de pourquoi ).

Il convient de saluer deux publications récentes qui viennent, de manière extraordinairement complémentaire, de lever un peu plus le voile sur les mystères qui entourent – encore – le chef du IIIème Reich. Deux historiens allemands, Matthias Uhl et Henrik Eberle ont mis à jour le « dossier secret sur Hitler » commandé par Staline après la victoire des Alliés. Preuve que l’auteur de « Mein Kampf » suscitait bien des interrogations, le vainqueur de Stalingrad doutait de son suicide. Au point de demander à sa police secrète de se procurer par des témoins directs et fiables, les détails sur les circonstances de sa disparition. La capture dès mai 1945, de l’aide de camp particulier et du majordome du Führer permit de satisfaire largement aux exigences du « petit Père du peuple ». Les deux prisonniers furent ainsi longuement et scrupuleusement interrogés sur la période qui s’étend de la prise du pouvoir par Hitler en 1933 jusqu’aux derniers instants dans son Bunker. Remis au chef du Kremlin en décembre 1949, ce « dossier secret » fut exhumé des archives russes en 1991 et édité récemment en Allemagne. Précédé de commentaires critiques sur le matériel historique à même d’éclairer le lecteur sur ses nécessaires précautions d’emploi, l’ouvrage publié en français aux Presses de la Cité livre une foule d’éléments inédits sur le comportement du dictateur dans ses moments d’intimité sur l’Obersalzberg mais également en présence de ses généraux au cours de ses réunions militaires. Exécutants soumis, par conviction, aux caprices du Führer, les deux anciens collaborateurs avaient tout loisir d’observer de près les réactions de celui qu’il servait. Du dictateur qui entendait régner sur le monde, on apprend ainsi qu’il examinait compulsivement dans les moindres détails, les dossiers des soldats allemands désireux d’épouser une étrangère rencontrée dans l’un des pays conquis. Ou qu’il censurait lui-même les actualités filmées du front, en charge ensuite pour Goebbels d’en orchestrer la propagande. Mises à part sa soif de conquête et sa dissimulation de cette stratégie aux chancelleries occidentales, le plus intéressant réside certainement dans le caractère hautement imprévisible des décisions du dirigeant du Reich. Si l’entourage proche pouvait parfois s’en inquiéter, l’euphorie des succès militaires du début entoura Hitler d’un irréfragable halo de gloire. Il aura fallu les premières défaites pour mettre en lumière ses obstinations colériques et ses appréciations erratiques de la situation générale. Avant que celles-ci, dans les dernières années, ne deviennent un pur et simple déni. L’aide de camp et le majordome furent ainsi témoins de l’incapacité de son Etat-major, dont l’attitude distingue mal la peur de la fascination, à lui avouer les désastres de Stalingrad ou le contredire sur une manœuvre tactique que chacun savait vouée à l’échec. Comme quoi le mythe d’Hitler fonctionnait jusque dans le repère de Berchtesgaden.

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Ce mythe est justement le cœur du livre d’un autre historien, britannique celui-là, dont la traduction vient d’être effectuée par les Editions Flammarion. Ian Kershaw s’est, en quelque sorte, intéressé à l’autre versant du personnage d’Hitler : l’inaltérable culte que lui a voué la population allemande jusqu’au retournement de 1943. D’où le vif intérêt d’une lecture coordonnée de cette publication avec la précédente. L’auteur complète une recherche initiale fondée sur des archives bavaroises qu’il a, ensuite, étendue aux rapports confidentiels internes sur l’opinion et le moral des principales organisations du parti et aux documents exfiltrés par l’opposition démocratique réfugiée à l’étranger. Le « regard porté sur le Führer par les simples citoyens » constitue son matériau de base. Il en élabore une réflexion sur les mécanismes qui assurèrent à Hitler le contrôle et l’exercice du pouvoir. L’étude particulièrement fine de l’auteur montre la différence de traitement réservé par les citoyens du Reich, d’une part, au Führer et, d’autre part, au NSDAP, à ses représentants locaux et à ses organismes affiliés. Autant le premier, nous dit Ian Kershaw, fut « adulé » et sacralisé, autant les seconds furent, le plus souvent, méprisés et largement craints.

Hitler ne serait-il que le fruit d’un magnétisme personnel savamment mis en exergue par un fantastique travail de propagande et de création iconique ? Le « mythe du führer a été créé par ses partisans avant que Hitler ne s’adapte au rôle » explique Kershaw. Ou qu’il ne s’en empare. L’obligation pour les membres du parti du salut fasciste « Heil Hitler » en 1926, imposée aux autres fonctionnaires par le Ministre du Reich en 1933, ne fut pas le moindre des artifices dans cette vaste machinerie de l’image. Les archives montrent à l’évidence que l’opération rencontrait de nécessaires « mécanismes compensatoires » de la part du peuple allemand. Les registres émotionnels et affectifs à partir desquels celui-ci témoigne, pour des anniversaires ou des fêtes, de sa gratitude au chef charismatique, ont puissamment contribué à l’achèvement de sa déification. Cette dernière, selon l’historien, intervient au lendemain de son discours de Munich du 14 mars 1936 où Hitler « commence à croire à son propre mythe ». Le plus étonnant réside sans doute sur le fait suivant : malgré les résistances d’une partie du clergé catholique, en dépit des craintes populaires sur les conséquences de la guerre, même après les premières reculades, la critique n’est jamais parvenue à atteindre, encore moins à altérer, la représentation du Führer. Elle se concentrait presque uniquement sur les échelons subalternes du parti et de l’administration nazie. Alors que la débâcle se profilait, une censure impitoyable a rendu encore plus diffuses, moins perceptibles les récriminations. Il faut toute la psychologie de l’auteur pour en retrouver la trace dans les formules d’avis de décès des soldats tombés à Stalingrad: le choix des familles indique une chute de la mention « pour le führer » pour ne laisser subsister que celle, plus générale, du « peuple » et de « la patrie ».

Sur tous ces sujets, les deux ouvrages apportent des confirmations croisées et donc précieuses. Aucun lecteur, s’il est exigeant sur les interrogations soulevées par l’histoire contemporaine, ne devrait reculer devant cette double acquisition. Le fait, comme le soulignent les auteurs du dossier Hitler, qu’il ait été rédigé pour Staline ne saurait en rien diminuer l’acuité de ces témoignages directs. Après tout, ils ont à peine plus d’un demi-siècle. Un temps infime en regard des terribles souffrances dont les peuples, chacun à leur manière, supportent encore les conséquences. Raison de plus d’acquiescer à la réflexion de l’historien britannique pour lequel les raisons profondes, qui ont permis la vénération d’un personnage comme Hitler dans une partie du monde industrialisé, ne sont guère rassurantes.

Le dossier Hitler, le dossier secret commandé par Staline d’après les interrogatoires des deux proches collaborateurs de Hitler, présenté par Henrik Eberle et Matthias Uhl, Editions Presses de la Cité, 2006, 496 p., 23,50 Euros.

Ian Kershaw, Le mythe Hitler, Editions Flammarion, 2006, 405 p., 24 Euros.

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