Pourquoi ne franchit-on jamais les portes d’une boutique orientale ? Et pourtant on s’y sent immédiatement comme à la maison, en compagnie des mamans du quartier et de la jeunesse venue acheter des produits aux senteurs d’ailleurs. Au Palais des Princesses Rajâe est reine. Sa boutique est ouverte depuis deux mois et elle est déjà un succès populaire. On y vient pour préparer son mariage, discuter ou juste admirer les belles tenues orientales. Coincée entre deux HLM couleur béton, cette caverne d’Ali Baba est une perle rare dans le quartier de l’Ariane, réputé difficile.
« Tout est possible », Rajâe aime le répéter. Cette grande brune aux cheveux longs a réussi de créer son SARL avec ses économies et avec le soutien de ses parents. « J’ai bossé comme une malade, à la bibliothèque Nucéra, chez Multari… Mais aujourd’hui j’ai réalisé mon rêve ». La jeune femme s’est résignée à financer seule son entreprise après un interminable périple à l’ANPE. « Ils te disent qu’ils vont t’aider mais ce sont des conneries. Ils m’ont demandé de réaliser une étude de marché qui aurait duré six mois. Et moi pendant ce temps, je paye mon magasin dans le vide ! »
Rajâe crée des décors de rêve pour des jeunes mariées en quête de somptuosité orientale. Aidée par sa famille et ses amis, elle coiffe, décore, dessine au henné – sa passion – veille au grain à ce que tout se passe bien. La porte de la boutique s’ouvre régulièrement aux amoureux de confessions différentes. « J’organise beaucoup de mariages entre des orientaux, des juifs, des français », dit-elle toute fière de montrer les vidéos de ses organisations. Non, les questions de race ne sont pas les bienvenues au Palais des Princesses. « Je fais mon métier parce que c’est tellement beau un mariage. Tout le monde est content, tout le monde est heureux. Dans la vie, il y a tellement de tristesse. J’opte pour le bonheur ».
Les yeux de Rajâe pétillent quand elle montre ses réalisations. Une salle quelconque ou un endroit chic, comme le Palais de la Méditerranée se transforment en un coup de baguette magique en palace de mille et une nuits. Nappes brodées, voiles légers, bougies, garde royale, tenues de Reine de Saba… « Je suis émerveillée par le décor », avoue une cliente. « C’est comme là-bas », rajoute cette marocaine d’origine juive.
Amoureuse de la mode, Rajâe tient à offrir un habillage tendance. « Pour cette saison, le décor ivoire et doré est très en vogue », affirme-t-elle. Et même si son travail l’amène à se déplacer, elle a ses endroits de fête privilégiés. « On travaille loin, le week-end dernier on est allés en Corse. Mais j’adore le jardin de Cimiez, c’est très rustique », confie-t-elle.
Née à Fès, elle est arrivée à Nice à l’âge de deux ans. Elle a vécu « en ville », comme elle dit, avant d’arriver à l’Ariane il y a sept ans. Son quartier, elle l’aime, elle y reste. « J’ai ma clientèle ici, mais ce n’est pas seulement cela qui me retient. Je suis bien dans mon quartier. Dans les informations les journalistes abusent ! A l’Ariane ce n’est pas aussi violent qu’on le dit. C’est un quartier comme un autre. C’est sûr qu’il y a de la misère ici. Mais est-ce qu’on a déjà vu un quartier sans misère »?
Rajâe est remontée contre la situation à l’Ariane, où le chômage fait la vie des habitants. « Les jeunes ont la haine. Ils restent à traîner sans rien faire. Beaucoup font des petits boulots. Ils sont en âge, où ils rencontrent des filles, veulent leur offrir un café. Les parents ne peuvent pas tout faire ! »
Son explication à ce chômage ? « Le racisme n’est pas la cause principale. Mais il faut donner leur chance aux débutants. Il faut que le soleil brille pour tout le monde !»
Cette chef d’entreprise a réussi grâce à sa force de caractère et au soutien de sa mère, sa princesse. « J’ai eu beaucoup de chance et ma mère est un exemple. Elle a toujours travaillé, m’a toujours soutenu dans mes premiers boulots. Mais j’y mets beaucoup du mien aussi. Et puis il faut que les gens arrêtent de se plaindre ! » C’est le dernier mot de Rajâe.