« Enrico ! Enrico ! » On s’impatiente, on s’agite au forum de la Fnac de Nice. Puis, l’ascenceur du 4ième ouvre ses portes : l’homme engagé en faveur de la paix qu’on respecte depuis toujours apparaît. Une onde d’applaudissements l’accompagne jusqu’à la scène. Amis d’enfance, famille de coeur, gens de « là-bas », sont venus le voir, lui parler, le remercier d’exister. Un lui offrira une photo de classe du temps où leur jeunesse courrait dans la cour d’un collège de Constantine, une autre lui rappela un souvenir perdu, d’autres le solliciteront pour une dédicace sur son nouvel album « La vie populaire » …
Aujourd’hui, 11 décembre 2006, ce grand chanteur de variété au couleurs musicales arabo-andalou fêtera ses 68 ans, et dans ses yeux rayonnent encore et toujours cet espoir qu’un jour le monde entier vivra dans la paix, qu’un jour les portes de son pays, l’Agérie, lui seront enfin ouvertes.
En attendant c’est avec une porte grande ouverte qu’Enrico Macias est entré à la Fnac de Nice pour discuter en toute amitié avec les niçois sans oublier de semer un message d’espoir.
Interview mené par Avraham Vanwetter.
Avraham Vanwetter : Parlez-nous d’abord de vos débuts ?
Enrico Macias : Le premier spectacle professionnel que j’ai donné en tant que vedette, c’était ici au théâtre de Verdure à Nice. Il y avait Pierre Blanchard, Jean Jacques Debout… Je me souviens très-très bien. C’était pour moi et pour tout mon entourage un défi gagné. A chaque fois que je viens à Nice, ça me fait plaisir de voir mon public, qui m’accompagne depuis 45 ans – des jeunes des moins jeunes, des gens d’une génération plus âgés que moi ou de la même, les enfants, les petits enfants… C’est formidable qu’après 45 ans je puisse me retrouver devant vous, pouvoir chanter des nouvelles chansons, chanter surtout mes premières succès que j’interprète toujours avec beaucoup d’émotion. Je suis content d’être parmi vous!
A.V. : Quand on s’attache à des personnes, on s’attache à toute la personne. Il y a aussi un aspect d’Enrico qui l’accompagne depuis toujours : C’est d’être ambassadeur pour la paix. (Applaudissements)
E.M. : Quand j’ai été nommé ambassadeur pour la paix, surtout pour la défense des enfants dans le monde, en 1997 à New York, Kofi Annan m’avait donc « intronisé » officiellement devant un panel de journalistes, de représentants de tous les pays du monde entier. Kofi Annan a dit : « C’est ce que tu as toujours fait tout le temps. Maintenant on t’offre la structure de l’ONU pour continuer ton chemin. » C’est plus important qu’avant certes, mais pour moi c’est la même chose. Mon combat, c’est la paix. J’accompagne toujours ce que je dis dans mes chansons ou mes interviews, par des actes. Je ne fais pas simplement qu’interpréter des sentiments, même si c’est déjà pas mal comme message. Ce n’est pas parce que d’autres chanteurs, expriment des choses et envoient des messages qu’ils n’ont pas la possibilité d’accompagner par des actes, ce n’est pas une critique. Mais moi, c’est mon tempérament qui est comme ça. Si je vous dis : « je vais vous servir à boire de l’eau », je vais le faire! Je ne vais pas vous dire : »un jour je vais vous servir de l’eau ». Moi, je le fais! Je vais en Afrique, au Moyen Orient, dans le monde entier pour sauver des enfants. Dernièrement, je me suis aperçu qu’il y avait des enfants Français dont les parents ont des papiers mais ne sont pas régularisés. Ils sont donc menacés d’expulsion. Je n’ai pas manqué d’interpeller le ministre de l’intérieur, Monsieur Sarkozy.
Et je lui ai dit ma façon de penser. Je prends des risques. Il y en a qui me disent : « Mais pourquoi tu fais tout ça, tu n’en as pas besoin ! » Non, j’en ai besoin! Vous m’avez donné la notoriété. Alors j’essaie de vous défendre un maximum. (Applaudissements)
A.V. : Dans la chanson « Mon histoire, c’est mon histoire », vous dites : « Mon histoire c’est ton histoire. Le soleil nous rend vivant. Les nuits et brouillards sont rares. C’est qu’on dise simplement que tout le monde est sur terre pour respirer le même air ». Ça vous vient d’où cela ? de cette expérience d’avoir eu un pied sur deux rives de la méditerranée? De vouloir créer un pont entre deux mondes : le monde arabe et l’autre monde qu’il soit juif, chrétien, bouddhiste?…
E.M. : Oui, le fait d’avoir quitté mon pays, de ne pas pouvoir y retourner … C’est une très-très grande blessure. Mais j’arrive à me soigner de cette blessure par la musique et par l’amour des gens. Je sais que tôt ou tard la volonté du peuple s’exprimera et que cette blessure sera guérie…
A.V. : Vous avez également fait ce festival de musique sacré à Fès.
E.M. : Oui, écoutez ce n’est pas pour faire de la démagogie. Je suis allé au Maroc. Je sais qu’il y a des critiques à faire sur les droits de l’homme mais en tout cas, en ce qui me concerne, j’ai trouvé un pays d’extrême tolérance, une tolérance incroyable où l’on ne m’a jamais empêché de chanter en hébreu, où l’on m’a encouragé de chanter en arabe, en français, en espagnol… Dans toutes les langues! Et puis, de chanter aussi des prières, des musiques sacrées de ma propre religion. On vénère le même Dieu et l’amour qu’on a de l’humanité, c’est la même chose, donc, c’est pour ça que je crois qu’on a tous la même religion. La vraie religion, c’est celle de la tolérance. La religion c’est l’amour en général. C’est pour ça que chaque religion a ses lettres de noblesse. Nous, on est les champions de la liberté parce que Moïse a libéré tout un peuple : il a étatisé la liberté. Jésus a été le prophète de l’amour. L’Islam, c’est la synthèse du Judaïsme et du Christianisme puisqu’ils ont intégré les 5 livres sacrés dont l’Evangile. Dans le mot Islam, il y a le mot « Paix », salam. L’Islam, c’est le symbole de la tolérance. Le prophète Mohammed qui est décrié en ce moment à cause de certaines caricatures, est le Prophète de la tolérance. C’est toute à fait une ineptie et une erreur historique de penser que c’est une guerre sainte. Ce n’est pas vrai. C’est une période de l’histoire de l’Islam qui a imposé la guerre sainte pour recevoir un maximum d’adhérents mais ça n’a rien à voir avec le Coran qui est la copie conforme de l’Ancien Testament. C’est pour cela qu’il ne faut pas faire d’amalgame avec tout ce qu’on trouve dans le monde. Des gens qui se servent de la religion pour tuer d’autres gens. Je ne crois pas qu’il y ait une religion qui incite à faire des choses par la lutte. (Applaudissements)
A.V. : Votre fils est auteur-compositeur dans cet album. Comment avez-vous réussi cette alchimie ? Que les paroles collent autant, pas simplement au père mais aussi à l’homme que vous êtes, celui qui a voyagé avec ce regard un peu comme la tente d’Abraham ouvert sur les quatre côtés.
E.M. : Mon fils ne fait pas tout dans ce disque mais c’est grâce à lui que j’ai rencontré de nouveaux auteurs compositeurs. Entre parenthèses, je n’ai jamais abandonné les premiers qui ont travaillé avec, on travaille tout le temps ensemble. Mon fils a été le détonateur d’une nouvelle jeunesse dans l’inspiration. Je suis très fier que des jeunes s’intéressent à moi avec beaucoup d’amour et ils n’ont pas du tout ce complexe de dire : « Bon Enrico Macias, ça suffit. Ça fait 45 ans qu’il chante. » Au contraire, ils savent que j’ai d’autres choses à dire et à faire.
A.V. : Comment ça se passe avec Enrico Macias ? C’est un clan ? Une tribu qui se déplace, qui vous accompagne ?
E.M. : Mes musiciens, c’est encore plus que ma famille. Puisqu’ils sont souvent avec moi, plus que ma propre famille. On est ensemble. Il y a un état d’esprit primordial. Je n’accepte pas un musicien dans mon équipe seulement parce qu’il est talentueux, c’est l’état d’esprit qui compte le plus. C’est l’esprit qui fait corps autour de moi pas comme un leader ou un champion, pas du tout, chacun est dans son rôle. Ils savent que je respecte leur compétence et je sais qu’ils l’amènent à mon service donc on ne peut que les respecter. Ils se passent une osmose entre nous. Je n’aime pas les mots « clan », « tribu ». C’est une famille qui est ouverte au public et ils sont des milliers de gens dans le monde entier qui adhèrent à notre état d’esprit.
A.V. : Dans cet album, il y a un fil conducteur : la mémoire. Est-ce que ça était un choix personnel de vouloir qu’il y ait un pont entre la mémoire d’hier et la mémoire d’aujourd’hui et cet espoir pour demain ?
E.M. : Ce qui me fait le plus de peine dans le monde : c’est quand les gens oublient ce qui s’est passé il y a 30 ans, 50 ans ou 100 ans. C’est un sacrilège, plus grand que si on blasphémait Dieu. Parce que le respect de la mémoire, c’est le respect du passé, c’est le respect aussi de ceux qui ont été victimes de ce passé et pour moi le respect de la mémoire ça nous amène à corriger l’avenir aussi. Pour moi, la mémoire c’est Dieu. Dieu s’est transformé en une mémoire et je pense que pour croire en quelque chose, il faut s’en rappeler. Donc, si on se rappelle tout le temps de la mémoire, c’est qu’on se rappelle de Dieu.
A.V. : Quand vous dites dans le petit extrait que j’ai cité tout à l’heure, vous parlez de « nuits et brouillards ». Ça veut dire qu’il y a encore des risques qu’on oublie ? C’est une manière de rappeler que c’est toujours vivace ?
E.M. : Il faut être toujours vigilant à la folie des gens. Il y a des gens qui sont des adeptes du Diable et ils sont contre l’Amour. Ils sont des adeptes de la haine! Pour moi, le Diable c’est la Haine, l’Amour, c’est Dieu. Je ne peux pas supporter qu’il existe encore maintenant des choses qu’on croyait régler après la fin du tunnel de la Shoah. Il faut rester vigilant, parce qu’on ne sait jamais, ça peut revenir. Mais je ne veux pas jouer au mauvais prophète, je pense qu’on saura tirer des leçons, c’est pour ça que la mémoire est importante afin d’éviter que ça arrive de nouveau. Il y a eu des tentatives. Si je ne suis pas passé ici à Nice depuis longtemps, c’est parce que j’ai été un peu barré à cause des gens qui véhiculent ces idées-là et qui veulent oublier la mémoire et la Shoa. Il faut se rappeler de tout. Il faut pardonner mais sans oublier. C’est-à-dire par moments, il ne faut pas pardonner il faut anticiper. (Applaudissements)
A.V. : Votre famille, quand elle vous a vu donner un autre aspect de votre personnalité notamment au cinéma, n’ont-ils pas eu peur que la musique passe au second plan ?
E.M. : La musique ne passera jamais au second plan! Je n’abandonnerais jamais la musique. Mais le fait de jouer la comédie, c’est une autre musique dans laquelle je me sens bien. J’ai un principe : si on me dit demain de donner un spectacle de danse, même si on me donne des milliards, je ne pourrais pas car je sais que je n’en suis pas capable. Le talent, c’est de savoir dire « non je ne suis pas capable de faire ça ». Le talent c’est aussi de dire : « Oui, je suis capable d’aller au bout » Je savais dans mon fort intérieur, que j’avais des dispositions pour jouer la comédie : c’est une grande récréation pour moi. Je n’oublie pas la musique. Entre deux prises de vue, j’ai toujours ma guitare avec moi, elle ne me quitte jamais (Applaudissements)
A.V. : Dans la « Vérité si je mens 2 », on vous a vu effectivement ne pas pouvoir résister pour pousser la chansonnette.
E.M. : Ah ! Oui, mais alors là, c’est une faute du metteur en scène (sourire). Parce que ce n’était pas prévu du tout. J’étais censé être le père de la marié, j’étais sensé me saouler avec de la musique et l’orchestre qu’il y avait là. Et puis il m’a dit : « Tu sais, les gens, ils seraient déçus Enrico. Il faudrait que tu chantes quand même une chanson. Arrange-toi pour que tu ne sois pas complètement Enrico Macias. » Evidemment je monte sur scène, je chante, et d’un coup ils veulent que je sois Boudboule même en 30 ans, c’est pas possible. Alors j’ai fait exprès de chanter de temps en temps faux, j’inventais des mots, j’étais très mauvais chanteur pour être Boudboule. Tout le monde a été pris par l’ambiance, ils tapaient dans les mains, il y en a même un qui a crié : « Vas-y Enrico ! « (Rire) J’ai dit : Arrêtez ! Je ne suis plus Enrico. Je suis Boudboule ! Vous êtes fous ou quoi ?! » (Rires) Finalement, on ne l’a pas gardé mais moi, je trouve que c’était le meilleur moment du film. (Sourire)
A.V. : Dans une chanson vous dites : « Et quand on raconte nos drames à nos saintes femmes, on est tous les mêmes. Dans cette histoire qui finit dans le noir, je dis les mêmes. C’est pas sûr qu’on se ressemble mais on est ensemble ».
E.M. : Bien sur, moi ma philosophie, c’est la différence. On ne peut pas dire qu’on est tous la même chose, comme des robots, comme la race la plus belle qu’a rêvé de fabriquer Hitler en éliminant les autres races. Non, moi je suis pour la diversité, pour la différence : la différence c’est une grande richesse pour la France, pour l’humanité entière. Le sol, il appartient à tout le monde! Ce n’est pas parce que des hommes ont déterminé une frontière qu’on a pas le droit de vivre sur une frontière et de manger et de boire comme il faut. On donne bien à manger à un chat ou à un chien qui vient sur notre propriété pour se restaurer. Pourquoi on le pratique pas avec les autres hommes qui ne vivent pas à la même frontière que nous ? Le discours des hommes politiques qui sont en ce moment en campagne est assez dangereux et même super stupide, je m’excuse, parce que s’ils parlaient franc et vrai, s’ils étaient moins nationalistes que ça, s’ils étaient un peu plus ouvert vers le véritable intérêt des êtres humains, je crois qu’ils auraient plus d’adhérents. (Applaudissements)
Où se procurer l’album ? Fnac
Site officiel : https://enricomacias.artistes.universalmusic.fr/