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22 novembre 2024

Les travailleurs européens dans les Alpes-Maritimes : Sont-ce vraiment eux le problème ? (2/2)

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Cet article (suite à celui publié hier) fait le point sur la présence professionnelle étrangère dans les Alpes Maritimes, et les enjeux de droit qui se posent. Nous remercions son auteur pour les éclaircissements sur beaucoup d’idées reçues.


europe_drapeau-3.jpg Le travailleur international, une catégorie plurielle

Le travailleur est nécessairement rattaché à un système de protection sociale. Des déplacements fréquents avec un retour régulier à son lieu de travail habituel ne fait pas du salarié un apatride social. Dans l’affaire Ryanair, la compagnie aérienne immatriculée en Irlande a été condamnée en première instance en 2013 pour travail dissimulé, et condamnée à régler des impayés aux URSSAF et aux caisses de retraites (la cour d’appel se prononcera en octobre 2014). La cour a estimé que l’existence d’une base à Marseille impliquait le paiement de cotisations en France. Même si les personnels se déplaçaient physiquement tous les jours, leurs intérêts familiaux et professionnels se trouvaient en Provence.

Le rattachement est plus clair dans le cas des expatriés. Au sens de la Sécurité sociale, le salarié expatrié n’est plus rattaché à la protection sociale de son pays d’embauche. Il adhère donc au système local, avec le risque que le niveau des prestations (soins, indemnités) soit inférieur. C’est pourquoi les entreprises peuvent cotiser de façon complémentaire pour leurs salariés, par exemple à la Caisse des français de l’étranger. Les travailleurs indépendants suivent la même logique.

Le principe de l’application des règles du lieu de travail semble évident, mais complique le départ des salariés pour des missions de courte durée. A cet effet, le régime du détachement continue de faire dépendre le salarié (ou le travailleur indépendant) de la sécurité sociale de son pays d’embauche (ou d’immatriculation) pour une certaine durée, plutôt que de le faire basculer dans le système local. Tout est alors une question de durée : les Etats, par des conventions internationales bilatérales, en définissent des plus ou moins longues, en-dessous desquelles les travailleurs ne sont pas considérés comme expatriés. L’Union européenne prévoit deux années maximum de son côté.

Faciliter les échanges et protéger les consommateurs, un équilibre précaire

Au plan européen, et a fortiori mondial, il n’y a que peu de règles uniformes en matière sociale. Par social, on entend les conditions de travail (durée de travail, minimum de salaire, etc.) et la protection sociale (assurance maladie, chômage, retraite).

Une règlementation communautaire sur le temps de travail existe pour les personnels navigants aériens, les chauffeurs routiers, les conducteurs de trains internationaux et les marins. Par la directive 96/71/CE de 1996, les salariés détachés doivent appliquer la réglementation du pays de travail sur le salaire minimal, les durées maximales, la sécurité, les congés et la représentation syndicale.

Peu de règles donc, mais une nouvelle qui allait créer la polémique en 2006. On se souvient de la directive Services, ou « directive Bolkenstein », du nom du commissaire européen au Marché intérieur. Il entendait, à grands traits, copier le raisonnement applicable aux marchandises pour les salariés. L’idée est simple : la libre circulation des marchandises implique d’éradiquer les droits de douanes et autres taxes qui freinent le commerce entre Etats membres, mais également de traiter des normes de fabrication.

En effet, si l’objectif de protection des consommateurs est louable, cela réduit logiquement les échanges. Pour maintenir un niveau de protection, partout en Europe, on harmonise alors les normes (automobiles, ascenseurs… sous la norme CE). Ou alors, on se repose sur les normes nationales et laisse entrer les produits. Ainsi de même pour les salariés.

Dès lors, une mauvaise lecture du texte, une légitime volonté d’améliorer les normes sociales ou une mauvaise foi patente, c’est selon, ont créé un débat si violent que même Bruxelles décida de modifier le projet… La directive adoptée le 12 décembre 2006 exclut donc de nombreux domaines de la libre prestation de services (banques, transports, télécommunications, postes, etc.) et ne touche pas aux exigences de diplôme dans la santé (règles harmonisées).

Des imprévus, des abus et des points à éclaircir

Concrètement, la mise en œuvre de la libre prestation de service et du détachement a posé certains problèmes, qui en ont fait le délice des juristes. D’abord, l’expatriation « off-shore », qui consiste à rattacher un salarié à un lieu socialement avantageux pour l’entreprise, en dépit de la réalité de son travail, existe mais est désormais mieux identifiée par les administrations.

Ensuite, l’histoire de l’université privée Fernando Pessoa. Au Portugal, elle est autorisée à délivrer des diplômes de médecine, et leurs titulaires peuvent s’établir dans un autre Etat membre, en vertu de la reconnaissance européenne de ces diplômes. Rien de nouveau ici. Or, les responsables de l’entité ont décidé de créer au campus CLESI de Toulon une spécialité d’odontologie, entre autres. Levée de boucliers de l’Ordre et dépôt de plainte du ministère. La bataille se déplace aux tribunaux : première décision favorable au CLESI en février 2014. On attend avec impatience l’avis des juridictions supérieures, une telle jurisprudence ne s’étant pas présentée depuis bien longtemps…

Enfin, les abus liés au détachement. Détacher un salarié pour l’envoyer en mission dans une filiale de son groupe ou chez un client, pas de problème. Ouvrir une entreprise de travail temporaire pour détacher des intérimaires afin de profiter uniquement d’un différentiel de cotisations sociales, cela pose question. En effet, pour mémoire, le salarié détaché reste lié au système social du pays d’embauche.

Les intérimaires sont salariés de l’entreprise de travail temporaire, et sont mis à disposition des entreprises utilisatrices. A l’été 2014, Le Parlement européen et les gouvernements ont obtenu une révision de la directive de 1996, pour vérifier l’application des règles locales et rendre solidaire l’entreprise utilisatrice en cas de condamnation des agences d’intérim.

On voit donc que l’application des règles, pour précises qu’elles soient, apportent des surprises. Beaucoup reste à faire pour créer un marché européen du travail, qui protège équitablement tous les salariés. A condition d’avoir assez d’inspecteurs du travail évidemment…

Pierre-Marie Vague , Mouvement Européen Alpes Maritimes

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