Nice-Premium : 10 ans de mandat. Quelle est votre analyse de cette décennie ?
Jacques Peyrat : : Une analyse passionnante. Quand je me retourne sur ce que l’on a fait je me dis qu’on n’est pas payé par les critiques que l’on entend. Peu importe. On ne doit pas travailler pour la reconnaissance, pour se faire un nom, pour avoir un titre. Pour moi, la ville de Nice se porte bien. Rappelez vous lors de notre arrivée aux affaires en 1995, la ville était sous le choc du départ de son maire très aimé, Jacques Médecin. Les gens ne croyaient plus en Nice. Le reste de la France se gaussait de Nice. La ville était acculée sous l’impôt parce qu’on l’avait mal gérée. Il y avait un retard d’équipements publics qui était considérable.
Personne ne s’était attaqué aux difficultés majeures de cette ville qui étaient la circulation et le stationnement. La carte de Nice (il désigne celle de son bureau) montre bien la difficulté d’une ville de 345 000 habitants regroupés sur deux plaines : celle de la vallée du Paillon derrière le port de Nice et celle du centre-ville où il y a 240 000 habitants, et 105 000 sur les collines. Il y a d’autre part, une plaine à mettre en valeur classée zone inondable, la Plaine du Var, et dont l’aménagement est complexe. Une bonne nouvelle cependant, la Plaine du var a bénéficié du label Opération d’Intérêt National. Cette labellisation comme Euromed à Marseille permettra de profiter de financements très importants de l’Etat.
On a rétabli valablement les finances. On a remboursé, et c’est très significatif, plus de 2,8 milliards FF en dix ans tout en baissant les impôts et en réalisant les équipements nécessaires. Nous sommes la seule ville de plus de 100 000 habitants en France qui n’a pas augmenté les impôts. La région ferait bien de prendre exemple sur nous. Ensuite, on a fait le projet urbain décennal afin d’étudier pour les dix ans à venir quels étaient les projets qu’il fallait faire. Ce PUD a été soumis à la population qui a répondu « oui ». On a donc bâti petit à petit les projets.
Le tram d’abord. Je n’ai pas perdu une minute. En 1995 c’était le premier dossier. Il aura fallu douze ans pour arriver à réaliser ce projet. C’est le seul moyen pour remédier au problème de la circulation. C’est tellement le seul, que j’envisage avec mes collègues maires de la CANCA, de le poursuivre d’est en ouest. 37,5 kilomètres de tramway dans le périmètre de la CANCA dont les deux tiers dans Nice avec les raccordements, les rabattements, les parkings de stationnement à chaque entrée et sortie où pour le prix du parking on a le billet gratuit sur le réseau de transport.
Autre résultat positif : avoir rendu moins cher les bus avec une tarification unique de 1,3 euro sur le réseau de la CANCA. Cet engagement pour les transports a été la chose la plus importante. Il y a eu aussi tous les réseaux à refaire : les réseaux d’eaux pluviales, d’eaux usées, et 2 grands bassins de rétention (Arson et Ferber).
Il va y avoir la voie rapide d’est en ouest. Là, les usagers subissent encore des nuisances. Mais je suis comme le chirurgien qui va faire un quadruple pontage, qui va prendre des risques pour qu’ensuite le patient ait un cœur tout neuf et ça marche ! La voie rapide va devenir rapide. Le Conservatoire National de Région est un bijou extraordinaire. On a construit une grande bibliothèque fabuleuse avec un air de modernisme et d’avant-gardisme sur le plan culturel. On a cru, parce que je m’opposais au collectif des Diables Bleus, que j’étais un abominable conservateur qui ne pouvait que lire le latin dans le texte et écouter de la musique de chambre. C’est mon vote qui a fait pencher pour la tête carrée de Sosno qui est devenue une effigie de la ville de Nice. L’Université ? Après avoir acheté les bâtiments au Ministère de la Défense pour 33 millions de Francs et nous avons investi pour la caserne Saint Jean d’Angely 22 millions d’€ puis 16 millions d’€ sur plusieurs tranches de travaux afin de donner à Nice, cinquième ville de France une université de 1er ordre. En effet, là où il n’y a pas de transmission du savoir il n’y a pas de grande ville et de grande agglomération. Il faut permettre l’extension de l’université.
Nous avons pris la précaution d’acheter le hangar provisoire SPADA pour qu’elle ne soit pas vendue à des promoteurs qui y auraient construit des immeubles. On pourra faire à Spada la salle qui nous manque, la scène qui nous manque pour accueillir des orchestres philharmoniques, du rap… Une très belle salle où toutes les musiques peuvent se mélanger quelles qu’elles soient, d’où qu’elles viennent et pour tous. La ville n’est pas seulement une ville de personnes âgées ou une ville de jeunes ou une ville qui travaille, c’est tout cela à la fois.
Qu’est-ce que je retiens de ces 10 années ? Je retiens d’abord l’immense travail qui a été accompli et pas seulement le travail du maire, mais celui des élus et des fonctionnaires car ils sont la mémoire de cette ville. Ils ont fait du bon boulot. On a pris nos responsabilités, on a bravé l’impopularité. J’ai mis mon mandat en jeu. J’aurais pu me dire : « pourquoi tant de soucis ? » et céder aux décisions faciles en multipliant le nombre d’arbres, de bancs, de spectacles gratuits, etc. Certains politiques auraient opté pour ces choix faciles mais moi, je n’ai pas fait ce choix de la facilité. C’est vrai que j’ai empoisonné tout le monde pendant trois ans mais on livrera une belle ville. Nos concitoyens nous le diront. Je suis passionné de ce que j’ai entrepris. Si la ville est plus belle, s’il en est ainsi pour ceux qui viennent nous rendre visite et pour les Niçoises et Niçois qui y vivent, j’aurais l’impression de ne pas avoir perdu mon temps.
NP : Comment jugez-vous l’emploi à Nice et dans la CANCA ?
Ne pensez-vous pas que le Cyber Emploi pourrait être utilisé plus régulièrement pour monter des rencontres entre entreprises recruteuses et demandeurs d’emploi, le salon de l’emploi organisé par le PLIE ayant connu un énorme succès l’an dernier ?
JP : Après avoir créé les premiers cyber senior et immédiatement après les cyber emplois, nous avons fait installer dans chaque groupe scolaire Internet, avec un ordinateur par classe. Dans un grand nombre d’établissements il y a une salle informatique. L’an prochain d’ailleurs, tout le parc informatique des écoles sera renouvelé. Il faut encore faire davantage.
L’emploi est la clé de voûte de tout. Donnons de l’emploi et nous aurons moins de pauvreté. Chacun pourra ainsi régler son loyer et on pourra même faire appel au parc locatif privé car les propriétaires auront moins de craintes pour louer leurs appartements. Tant qu’il n’y a pas d’emplois, on ne sort pas de la misère, de la pauvreté, et du manque de logement. J’ai créé la mission locale pour l’emploi. J’ai mis en place le PLIE. J’ai bâti la Canca et j’essaie de faire venir des entreprises, en mettant en œuvre un réseau de transport pour donner envie aux actifs de venir, en créant des logements pour les recevoir. Qu’ils viennent investir et créer des entreprises ou des filiales d’entreprise ! Mais on ne vient pas autant que nos atouts peuvent nous le laisser espérer… Pourquoi ? Parce qu’on n’est pas capitale de région. Tant qu’on ne sera pas pris au sérieux par le gouvernement central de la République, tant qu’on sera les parents pauvres de Marseille et Dieu sait que j’aime Marseille et son Maire, tant que nous n’aurons pas les délocalisations, on ne s’en sortira pas. Il faut donc trouver de nouveaux rouages économiques en-dehors d’une meilleure utilisation du cyber pour répondre précisément à votre question.
NP : Que Nice devienne une capitale de région pourrait donc être un de vos projets ?
JP : Je n’ai pas réussi Monsieur. C’est terminé.
NP : C’est un regret ?
JP : Oh oui.
NP : C’est impossible ?
JP : Ecoutez lorsque je suis allé voir le Premier Ministre, c’était Alain Juppé, il m’a fait part de la décision qui ne pouvait être positive. Pourquoi ? parce que la tendance de l’Europe est aux grandes régions. Je vais vous dire quelque chose qui sera gravé dans le marbre : un jour il y aura une région Nice-Marseille-Lyon-Genève-Turin.
Barcelone non car Barcelone est bien trop forte. La Catalogne fait vivre toute l’Espagne. Ce n’est pas tout à fait notre cas à nous. Barcelone est même une concurrente.
En proposant à Monsieur Juppé de scinder en deux la région en enlevant un département et demi ou trois quart (les Alpes Maritimes, une partie du Var, des Alpes de Haute Provence et des Hautes-Alpes : c’est-à-dire l’ancien Comté de Nice), je n’étais pas dans le sens du temps. Mais nous souffrons de ne pas être capitale régionale. Car nous ne sommes que la 27ème ville de France administrativement parlant.
NP : Vous espérez beaucoup de la ligne TGV ?
JP : Tout Monsieur. Nous jouons notre destin sur le TGV, l’autoroute de contournement et la voie rapide. Notre aéroport ne pourra pas accueillir un volume de passagers plus élevé et l’on ne peut pas en faire un autre de cette importance dans le département ou dans le Var. Il faut donc trouver d’autres voies. Le TGV en est une. Le doublement autoroutier en est une autre et un jour le cabotage maritime sera aussi une possibilité. Ce sont les voies sur lesquelles il faut travailler.
NP : Que pensez-vous d’un port à l’embouchure du Var ?
JP : Je suis dubitatif mais s’il peut se faire, j’applaudis à tout rompre. Un de mes regrets c’est de ne pas avoir réussi à faire comprendre aux riverains du Port de Nice qu’il fallait élargir la digue pour accueillir le trafic des bateaux de croisière qui est, à Nice-Villefranche, le premier de France. Si on n’agrandit pas le port ici, faisons-le là-bas. Mais étudions en la faisabilité d’abord. J’ai hélas toujours en mémoire les 8 personnes décédées que j’ai vues passer au fil de l’eau. C’est un souvenir très douloureux dans mon esprit. J’ai le souvenir du commandant Arlot qui était allé expertiser les conséquences du raz-de-marée avec son sous-marin de poche qui me disait qu’il avait peur à l’embouchure du Var : « Toutes les terres tremblent. Le Var creuse et j’ai peur. » Peut-être maintenant y-a-t-il des moyens plus modernes. Si c’est le cas, tant mieux et je serai favorable à cette solution.
NP : Quels sont les proches qui vous ont agréablement surpris ?
JP : Les fonctionnaires et les élus. Ce n’est pas facile d’être un élu. On est souvent obligé de quitter son métier car cette fonction est très prenante. Adjoints et conseillers municipaux ont bien travaillé sous les 2 mandats, ainsi que les membres de mon cabinet. A part quelques trahisons, qui ont fait beaucoup de mal, les élus de la majorité, les membres de cabinet, les fonctionnaires, tous sont vraiment des gens de valeur que j’estime et avec qui je suis heureux de travailler.
NP : Votre équipe pour 2008 est déjà formée ?
JP : Pas du tout ! On y pensera le moment venu. On a tous comme objectif les élections nationales. Le destin de la France va se jouer dans quelques temps. Jamais le destin de la France n’aura été autant suspendu au choix de nos compatriotes. Je ne sais pas quel en sera le résultat. Tous ceux qui font des pronostics, je les trouve bien hasardeux !
NP : D’après vous, sur quoi vont se jouer les Présidentielles ?
JP : Justement, je ne le sais pas car la sociologie de ce pays a changé. Dans la France d’avant l’an 2000, on savait à peu près que certaines régions se situaient plus à droite, d’autres à gauche mais l’immigration et les naturalisations doivent être prises en compte. Et puis il y a la télévision. On ne le dit pas assez mais la dernière étude parlementaire faisait apparaître qu’un Français regardait, en moyenne, la télévision 4h30 par jour. Moi je ne la regarde que 30 minutes pour le journal télévisé et quelquefois un film lorsqu’il y en a un qui me plaît mais c’est assez rare, un match de rugby pour le tournoi des VI Nations ou un match de football. Si on comptabilise tous les gens qui ne regardent pas la télévision, cela signifie qu’il y a une partie non négligeable qui la regarde 6 à 7 heures par jour. Ça modèle les comportements. La violence, elle est là ! Si on ne présentait pas tous les films violents à la télé, on ne la ferait pas vivre cette violence. C’est évident. Mais si je dis cela, on va dire que j’énonce un lieu commun et pourtant? D’autre part que dire de l’influence qu’auront tous ces grands animateurs que sont vos collègues de la presse audiovisuelle ?
NP : Les hommes politiques ont aussi appris à jouer avec les médias comme les deux candidats Royal et Sarkozy…
JP : C’est vrai. L’élection politique va se faire sur l’image et pas forcément sur la réalité des choses, au moins pour un des 2 candidats car Nicolas Sarkozy démontre jour après jour sa connaissance de tous les sujets, sa parfaite maîtrise des dossiers y compris sur le plan international. Il a une vraie stature de chef d’Etat.
NP : On est à Nice. On est un joyau touristique. Ne pensez-vous pas qu’on pourrait avoir un site web qui serait traduit au moins en langue anglaise et italienne ?
JP : Oui. C’est moi qui ai développé le site Internet de la ville. J’ai installé, comme je l’ai déjà dit, des cyber un peu partout car j’ai compris qu’Internet était le vecteur majeur de communication. De même qu’au téléphone, nous répondons en anglais, en italien et en niçois, il faudrait avoir un site en anglais et en italien. Cela fait partie des préoccupations à mettre en priorité pour 2008.
NP : Etes vous au courant d’une télé Niçoise Hertzienne ?
JP : Elle existe à Marseille, depuis longtemps à Toulouse et bientôt à Montpellier. Ce serait intéressant de pouvoir développer un projet similaire à Nice d’autant qu’il y a déjà une chaîne locale avec Nice TV qu’il faudrait dynamiser davantage.
NP : Quelle question auriez-vous aimé qu’on vous pose et celle que vous n’avez pas aimé?
JP : Aucune et j’ai aimé celles que vous m’avez posées.
NP : Vous êtes fier de votre femme. Que représente-t-elle pour vous ?
JP : Tout. Elle est tout pour moi. C’est mon amour. C’est une femme de logique qui me surprend sans arrêt. Elle m’agace à certains moments ou me met en rogne. J’ai la chance d’avoir une femme exceptionnelle. A tous les apprentis homme politique, je leur conseillerais s’ils veulent être élus maire de Nice de réunir trois conditions : une santé de fer, un travail acharné et une femme que l’on aime avec laquelle on forme un couple. Si on n’a pas ces trois choses là, ce n’est pas la peine.
NP : Qu’est ce que le mérite aux yeux de Jacques Peyrat ?
JP : Le mérite c’est de détecter, lorsque l’on dirige, quelle est la direction qu’il faut prendre et faire prendre aux autres et d’avoir le courage de s’y tenir. Je compare cela à ce que l’on m’a appris dans les camps de commando auxquels j’ai participé : quand on est projeté dans une forêt immense et que l’on ne connaît pas, sans boussole, il faut prendre une direction et s’y tenir. Si grande soit-elle, on sort toujours de la forêt. Si on change de direction, que l’on va à droite, à gauche, on n’en sortira jamais.
C’est le même principe. Après avoir pris le temps d’analyser, arrive un moment où il faut décider et quand on a décidé, il faut continuer. Si je ne l’avais pas fait, il n’y aurait pas de Canca, pas de tram ni beaucoup d’autres réalisations. Ça gueule, ça rouspète, ça invective ! Peu importe. Il faut passer au dessus de ces choses quand on est convaincu d’être dans le bon chemin.