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22 novembre 2024

Patriot Act et tentation sécuritaire, une victoire pour le terrorisme

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Dix sept victimes du terrorisme et de l’abject. Depuis, un pays unanime, de marches en rassemblements, le besoin de partager les inquiétudes, les peurs, le sentiment de révolte aussi, la communion d’un peuple dans le traumatisme commun.

Vient ensuite le temps du questionnement et des propositions.

N’en déplaise à Valérie Pecresse et Nicolas Dupont-Aignan, Manuel Valls, lors de son discours à l’Assemblée Nationale le 13 janvier 2015, a posé une limite salutaire aux mesures sécuritaires à prendre suite aux actes terroristes : face à une « situation exceptionnelle », oui à des « mesures exceptionnelles », non à des « mesures d’exception ».

Si la distinction peut sembler subtile, elle est néanmoins fondamentale et met fin à toute hypothèse d’un « Patriot Act à la française », selon l’expression désormais consacrée par la presse.

En effet, le Patriot Act, s’il constitue un ensemble de mesures sécuritaires votées par le Sénat américain le 2 octobre 2001 suite aux attentats du 11 septembre, renforcé notamment par le « military order » du 13 novembre 2001 permettant la détention illimitée et aboutissant à la création du camp de Guantanamo, est avant tout un état d’exception, c’est-à-dire la suspension temporaire du droit commun.

« Etat de siège », « état d’urgence », « état d’exception » et « pleins pouvoirs » sont des notions distinctes largement commentées par les juristes et alimentant toujours les débats. Un point commun les caractérise : la suspension du droit, de la norme, pour instaurer un état temporaire permettant de prendre des mesures extra-ordinaires en confiant des pouvoirs accrus à l’exécutif.

Le danger est alors double : d’une part la négation des libertés individuelles et, de l’autre, le risque de voir se prolonger dans le temps les mesures prises en temps de crise et de normaliser ainsi l’absence de norme.

La tentation de susciter ou d’entretenir un état de crise et/ou de peur permanente auquel seul un état d’urgence parait répondre est grande. Ce processus permet l’obtention de pouvoirs illimités, plaçant le recours à l’état d’exception aux frontières de la démocratie. Il est bien souvent accompagné d’un culte de l’homme charismatique, providentiel, et la marque des régimes autoritaires, mais pas uniquement.

Le philosophe italien Giorgio Agemben écrit : « la création d’un état d’urgence permanent (même s’il n’est pas déclaré au sens technique) est devenue l’une des pratiques essentielles des Etats contemporains, y compris de ceux que l’on appelle démocratiques » (L’Etat d’exception, 2003).

Différentes théories justifiant l’état d’exception ont vu le jour à l’entre-deux guerres mais c’est Carl Schmitt, dont on connait la compromission avec le régime Nazi, qui, dès 1922, légitimait le recours à l’exception en fondant le pouvoir de décision politique dans la suspension de la norme juridique : « est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle ».

Et ce n’est pas un hasard si l’on retrouve l’état d’exception aux sources du totalitarisme : le 28 février 1933, Adolf Hitler promulgue un décret suspendant les articles de la Constitution de Weimar relatifs aux libertés individuelles, ouvrant ainsi la porte aux pires exactions et à la Shoah. Non révoqué durant tout le IIIème Reich, cet état d’exception a duré 12 ans.

En France, l’état d’exception est prévu par l’article 16 de la Constitution, lorsque « les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ». Il a été invoqué une seule fois dans l’histoire, par le Général De Gaulle lors de la guerre d’Algérie. La France a également eu recours à l’instauration d’un état d’urgence en Nouvelle-Calédonie en 1984 et en Métropole, en 2005, lors des émeutes dans les banlieues.

L’état d’exception, quelle que soit sa forme, est donc avant tout la négation de la capacité du droit commun à régler les affaires de l’Etat et à permettre d’assurer la sécurité civile ou militaire.

Or l’Etat de droit est constitutif de la République française et de notre démocratie. Il est au fondement de notre modèle républicain et de la défense des libertés individuelles acquises de hautes luttes durant un long processus historique, marqué notamment par la Révolution de 1789.

Si nous rejetons tout amalgame entre une pratique de l’Islam respectueuse des lois de la République et de la laïcité et l’islamisme, nous devons combattre sans relâche cet islamisme qui se caractérise par la négation des libertés individuelles, et en premier chef celles des femmes.

Ces libertés individuelles constituent tout ce que le terrorisme souhaite abolir et tout ce dont la France, en tant que fer de lance de l’idéal démocratique, est porteuse.

Si le terrorisme combat nos libertés, ce n’est pas en renonçant à nos libertés que nous le combattrons. Restreindre nos libertés pour combattre le terrorisme, c’est faire le jeu du terrorisme et lui offrir une première victoire sur un plateau !

Le terrorisme est l’arme de ceux qui ne peuvent vaincre par une armée. Il alimente les peurs de son ennemi. Il engendre la terreur panique et la division chez son ennemi et le pousse à agir dans la précipitation, à perdre ses repères et ses fondamentaux en légiférant sous le coup de l’émotion.

Robert Badinter, le 13 janvier 2015, a touché à l’essentiel en analysant notre situation actuelle : « On ne touche pas au cœur de la démocratie et de l’état de droit démocratique sans s’affaiblir au lieu de se renforcer ».

Nous sommes Charlie. Nous sommes les défenseurs de la liberté d’expression. Nous somme le pays des Droits de l’Homme et nous portons un idéal démocratique.

Suspendre l’Etat de droit, renoncer à nos libertés individuelles, c’est renoncer à ce que nous sommes et faire le jeu du terrorisme. C’est lui donner gain de cause à moindre frais.

Alors oui, nous devons impérativement nous doter des moyens humains et matériels nécessaires. Oui, nous devons amplifier les modalités de renseignement, de contrôle et d’intervention afin de mener une lutte implacable contre le terrorisme. Oui, nous devons punir durablement les coupables. Mais nous ne devons en aucun cas renoncer à ce que nous sommes, car ce serait d’ors et déjà donner la victoire à nos adversaires, avant même de continuer à livrer le combat.

Et si nous renoncions à notre Etat de droit et à nos libertés individuelles, les Kouachi, les Coulibaly, les Merah ou autres Nemmouche auraient alors gagné.

David Nakache

Auteur/autrice

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