Comment appréhender la mort d’un proche, se débarrasser d’une douleur qui colle comme la glu à l’image du défunt, la transformer en souvenir agréable, bref, effectuer comme l’on dit en psychanalyse un travail de deuil ? A chacune des pages de son ouvrage, Daniel Servella s’efforce d’apprivoiser cette angoisse de la séparation. La mort est celle d’une autre, aimée et chérie. Mais elle rejoint en perspective la sienne comme la vague échoue inlassablement sur le rivage. Le titre choisi, « l’Ange de la baie » crée cette dimension allégorique, cet au-delà de l’humain nécessaire à l’accomplissement de sa démarche. La croyance n’est pas loin même si l’auteur n’est pas dupe. « La vie aime parfois se travestir afin de nous faire distinguer la réalité de l’illusion » écrit-il comme une respiration bienvenue après l’horreur détaillée d’un songe : une introduction en forme de conte fantasmatique et annonciateur d’une défiguration urbaine des villes, dont celle de Nice et d’une « lobotomisation » à la Orwell de tous ses habitants.
Dans cette rêverie cauchemardesque, le salut viendra d’un personnage féminin, « énigmatique » à souhait, venu délivrer au héros fatigué un message porteur d’espoir. Avant d’en décrypter le contenu, de comprendre sa signification qui opère comme annoncé la régénération salvatrice, avant tout simplement de l’accepter, Théo, le personnage principal devra affronter maints obstacles : ceux en premier lieu de sa propre ignorance, de son refus de se laisser emporter, décentrer par rapport à lui-même et à sa petite vie tranquille. Trop de remises en question, de comportements à modifier, de perceptions des autres à changer tout en se proposant « autrement » à son entourage. Mais l’Ange de la baie s’acharne avec une divine bienveillance. Chaque rencontre inattendue provoque chez Théo une crispation intérieure, une « lutte étrange avec son démon » comme aurait pu l’écrire Stephan Zweig. A chaque fois, l’Ange lui délivre un message accompagné d’une plume blanche dont on comprendra la signification dans un ultime rebondissement.
Théo incarne en quelque sorte un personnage comme n’importe lequel d’entre nous. Il cherche à donner à sa vie un sens qu’il aurait comme perdu en route, à force de reniements et de buts à atteindre à tout prix. Sans le savoir, Théo profite d’un entourage dont les conseils correspondent aux finalités du dessein angélique. Louis, vieux libraire et homme des livres agit comme un sage doublé d‘un initiateur. Il prépare le terrain, avertit des incertitudes des épreuves, encourage pour aider l’impétrant à vaincre ses inavouables résistances.
« Un livre ne fait pas un écrivain » se plaisent à répéter les éditeurs. Mais deux sûrement. « L’Ange de la Baie » aura prochainement une suite, sous une autre forme, une histoire différente. Peut-être ce second ouvrage, passé le temps des interrogations comme « celui des regrets », offrira-t-il à notre auteur niçois, l’occasion d’un choix plus affirmé de l’écriture, d’un âge adulte désincarcéré des conflits oedipiens de l’enfance ?
Daniel Servella ne considère-t-il pas après tout la mort comme un envol ?
Daniel Servella, « L’ange de la baie », éditions Mélis, 2006, 229 p., 17 Euros.