Fernande Choisel a vécu 19 ans aux côtés de Guitry, plus longtemps qu’avec n’importe quelle de ses épouses. C’est à la demande d’Arletty qu’elle écrivit ses Mémoires. La Directrice du Théâtre des Muses est tombée sur ce livre paru en 1957 et a profité du confinement pour faire son miel de cette mine d’informations sur ces années passées dans l’ombre du grand auteur qu’elle admire depuis toujours.
Pimpante, passionnée du Maître, c’est dans le décor feutré du bureau de « Monsieur Moâ » qu’Anthéa Sogno met tant de soin, d’élégance et de panache à dresser le portrait de l’auteur qu’elle connaît parfaitement (elle a déjà joué entre autres, sur les scènes parisiennes « Quoi de neuf Guitry ? », « Une nuit avec Sacha Guitry » ou « Faisons un rêve »).
Elle n’est pas sans évoquer plus que son attachement professionnel à cet homme, son dévouement tout au long de ce parcours égrainé de surprises, d’embûches ou de difficultés car les défis artistiques à relever sont à la hauteur de la personnalité de cet auteur-acteur cinéaste de talent, amoureux des femmes sans être misogyne (l’interprète mène la vie dure aux idées reçues sur lui). Il en est de même pour les accusations de collaboration avec l’ennemi parce qu’il a continué de créer sous l’Occupation, ces allégations sont battues en brêche par la comédienne.
Complice, confidente aux premières loges de ses doutes sentimentaux ou artistiques, cette forcenée de travail nous fait revivre les moments incroyables de sa vie car vie et scène se mêlent chez lui. Elle est de tous les instants avec sa machine à écrire, prête à transcrire vite tous les bons mots du dramaturge, elle est aussi une pionnière de la sténodactylo. Une disponibilité à toute épreuve c’est ce qu’il fallait pour l’auteur de 124 pièces et 33 films. Enchanteur, amuseur, la verve de celle qui l’admire nous donne à voir ses travaux, ses marottes, son génie créateur ou ses douleurs. Mettant en scène nombre de ses romances avec moult traits d’esprit et élégance, ses oeuvres révèlent le grand séducteur qu’il était.
Il sait mettre en évidence les aspirations de ses personnages, leurs travers mais il les dépeint avec une profonde humanité. Ainsi ressortent tous les enjeux psychologiques dans les diverses intrigues.. Au fil de sa vie mouvementée passionnée par les femmes, Fernande alias Anthéa, fidèle au(x) poste(s) contre vents et marées, nous fait partager les humeurs et les affres du Maître. De Charlotte Lysès , sa pygmalione à Yvonne Printemps, la comédienne née qui le quitta pour Pierre Fresnay, jusqu’à la belle Catherine Delubac, Geneviève de Séréville, la femme enfant et pour finir à la veuve, la sublime Lana Marconi, un sentiment de fête se dégage de cette performance d’actrice qui se glisse dans la peau de ces femmes, inspirée en cela par les travaux de Philippe Caubère, auteur de nombreux seuls en scène, Guitry est le miroir, en effet de ce Paris mondain et léger des années 20 et 30.
On sent une filiation véritable entre la secrétaire du Maître et la comédienne metteuse en scène.Comme le dit Anthéa Sogno elle-même : « Je l’incarne. Je lui permets de dire ce qu’elle ne lui a certainement jamais dit et elle me permet de vivre ce que je n’ai pas pu vivre. » Quelle belle confession! Quel hommage rendu à celle qui connaissait le mieux Guitry et quel enthousiasme chez l’interprète qui endosse le rôle jusque dans son être, faisant face aux péripéties de ce long compagnonnage et des rebondissements il y en a. Pas de quoi s’ennuyer! Ce n’est pas une conférence, c’est vivant, enjoué, jamais triste même si ses femmes lui en font voir et le plongent parfois dans des abîmes de perplexité.
Anthéa Sogno espère qu’au-delà du plaisir garanti que prendra le spectateur à la voir évoluer avec une belle aisance sur scène, celui-ci aura envie de se plonger dans la profondeur de ses écrits au demeurant futiles et ne pas seulement aller voir ses pièces.
A ne pas manquer au Théâtre de la Cité samedi 26 novembre à 20h30.
Renseignements : 0493168269
Prix des places : 10,12 et 15€.
Roland Haugade