Eutopia* c’est un think-thank regroupé autour de Eric Jozsef , écrivain et journaliste français en poste à Rome. A l’occasion de la réunion du Conseil Européen d’aujourd’hui et de demain qui doit prendre des décisions au sujet de l’avancement de la construction européenne, une lettre ouverte** a été publiée à ce sujet souscrite par des centaines d’intellectuels et d’académiciens.
Au Conseil européen de Juin vous présenterez un Rapport capital sur la réforme de l’Union économique et monétaire qui va déterminer l’agenda politique de l’intégration européenne pendant la législature courante. Vous pouvez vous appuyer sur les succès de l’intégration européenne, dont le noyau réside dans la mise en commun et le partage de souveraineté à travers la création d’institutions supranationales démocratiques. Vous devriez partir de la leçon que la crise nous a apprise : nous ne pouvons vivre dans un marché unique avec une monnaie unique et pourtant 19 politiques fiscales et économiques différentes.
Vos prédécesseurs ont déjà constaté que cette asymétrie est insoutenable à long terme et ils ont indiqué par conséquent dans le Rapport de 2012 Towards a Genuine Economic and Monetary Union les objectifs de l’union bancaire, fiscale, économique et politique pour la dépasser.
Les citoyens européens s’attendent à une vision claire and ambitieuse du futur de l’Europe, précisée par une feuille de route et un calendrier spécifiques pour parvenir à ces unions nouvelles et à une Union européenne plus démocratique et plus efficace. Puisque l’action de la BCE a calmé jusqu’ici les marchés, l’UEM ressemble aujourd’hui à un enfant perdu dont personne ne s’intéresse.
Depuis 2012, seule l’union bancaire a partiellement avancé à cause du manque de volonté politique de la part des États membres.
Mais la crise peut s’aggraver encore si on n’avance pas avec les autres unions. Il faudra réintégrer les solutions d’urgence, comme le MES, dans le cadre juridique de l’UE pour créer un Fonds monétaire européen géré par un des Vice-présidents de la Commission, qui devrait être aussi le Président de l’Eurogroupe, chargé de la gestion d’une capacité fiscale et d’emprunt provenant de ressources propres – pour la zone euro au moins – sous un contrôle démocratique efficace par le Parlement européen.
Il s’agit de la condition préalable et essentielle pour la création d’une politique économique européenne, pour générer les investissements nécessaires à la croissance économique et pour passer de la solidarité entre les états à la solidarité entre les citoyens.
La crise nous a montré l’inefficacité de la simple coordination entre les politiques fiscales et économiques et la paralysie produite par l’unanimité. Les États membres ont aujourd’hui plus de contraintes budgétaires que les membres des États fédéraux dans le monde, sans pouvoir bénéficier pourtant d’un budget fédéral et de politiques fédérales. Par conséquent l’Europe reste engloutie par la crise.
L’achèvement des union bancaire, fiscale, économique et politique est nécessaire afin de remettre l’Union sur la route d’une prospérité stable et durable. L’intégration différentielle peut satisfaire aussi bien le besoin d’approfondissement de la zone euro que le désir manifesté par certains États membres de réduire leur intégration, sans que cela implique aucun droit de véto sur les besoins des citoyens européens.
Depuis 2008 le déplacement structural des orientations stratégiques américaines vers le Pacifique a créé un vide de pouvoir qui promeut l’instabilité tout autour de l’Europe, de l’Est au Sud. De consommateur, l’Europe doit devenir producteur de sécurité. Seuls les états de dimension continentale – tals les États-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil – comptent pour quelque chose dans le monde globalisé. L’UE doit
avancer vers l’union politique avec l’objectif de créer une politique étrangère, de sécurité et de défense unique, afin de stabiliser son voisinage et de faire face aux défis et aux menaces géopolitiques contemporaines. Le démarrage d’une Coopération structurée permanente ne dépend que de la volonté politique: il ne s’agit pas d’une question de budget, car les pays Euro-Plus ont la deuxième dépense militaire au monde.
Le “whatever it takes” du président Draghi a joué un rôle crucial lorsque la crise battait son plein. Votre Rapport devrait représenter le “whatever it takes” politique de la part de toutes les institutions de l’UE. Il devrait contenir une feuille de route et un calendrier clairs et spécifiques pour compléter l’union bancaire et parvenir à celles fiscale, économique et politique avant la fin de la législature européenne. Peu importe si cela implique la révision des traités.
Le citoyens ont besoin d’une vision et d’une proposition concrète qui leur explique comment procéder vers une Europe fondée sur la démocratie, la solidarité et la subsidiarité. Il n’y a rien d’autre qui puisse restaurer leur confiance en l’Union.
L’alternative est la diffusion de la perception sociale d’un déclin conçu comme
inévitable et irréversible, ce qui ne peut que nourrir le populisme, le nationalisme, la xénophobie.
La qualité de dirigeant implique des responsabilités envers les citoyens d’aujourd’hui et de demain. Les européens comptent sur votre leadership, votre responsabilité et votre vision pour faire sortir eux et leur Union de la crise.