Quels sont les ingrédients pour susciter le succès d’une production lyrique ? Une musique et des voix portées par une mise en scène. Si tout s’accorde, la magie opère. Non seulement sur le public mais sur les artistes eux-mêmes. Ce fut bien le cas, vendredi dernier, pour la répétition générale de « Teseo », le troisième opéra composé par George Frederich Haendel et créé à Londres le 10 janvier 1713.
Le public a été charmé sinon conquis dès la première scène – et pourtant la spécialiste des sortilèges Medea n’apparaît qu’au second acte ! Il lui a suffi d’écouter les lamentations dues au transport amoureux d’Agilea qui attend, dévorée par l’angoisse, des nouvelles du guerrier « Teseo » dont elle est éprise. Rôle magnifiquement interprété d’un bout à l’autre par Brigitte Hool dont la pureté cristalline de la voix semble la remplir d’aise lors des morceaux de virtuosité musicale imposés par le compositeur. Ces « fioritures » exaltées de l’amour, notamment dans l’air « Justi Dei » donnent aussi l’occasion d’apprécier dès l’origine l’interprétation admirable du rôle d’Arcane par Damien Guillon. Son aria sur la souffrance inquiète d’un amour jaloux envers la dame de compagnie d’Agilea a littéralement plongé la salle dans un moment partagé d’intensité dramatique, donnant le signal des premiers applaudissements cathartiques destinés à faire passer l’émotion. Le héros Teseo, dont la partition est souvent chantée par une mezzo-soprano, nous fait découvrir une tessiture à l’exceptionnelle hauteur. Les aigus de Jacek Laszczkowki, plus soufflés que criés, susurrés même à l’oreille du public, procurent à ce dernier la sensation d’une profondeur de l’âme, d’une sincérité inégalable auquel il ne reste pas insensible. C’est dire si ce premier acte élevait le niveau d’exigence. On pouvait légitimement craindre l’éventualité d’une rupture, d’un décrochage au cours des quatre actes suivants. Au point aussi de nous faire oublier qu’une répétition générale laisse aux artistes la liberté de ne pas donner la pleine puissance de leur voix. Celle, au départ plus hésitante, du roi Egeo est venue nous le rappeler. Mais l’amoncellement de sombres nuages annonce bientôt l’apparition tumultueuse de Medea et de sa colère vengeresse. L’appel de la magicienne trahie aux Furies et autres monstres infernaux pour punir Agilea dans le troisième acte accélère le drame et projette l’auditoire dans un monde maléfique, sorte de « continent noir » du féminin trompé. L’amour finira toutefois par triompher non sans un ultime complot d’empoisonnement déjoué par la découverte d’une filiation entre le héros et le roi. Et l’intervention de la déesse Minerve dans un strict parallélisme des formes puisque sa divinité est centrale dans les tout premiers instants de l’opéra. Avant la chute définitive du rideau, le duo d’amour entre Teseo et Agilea « Cara !, Caro ! » offrira en cadeau à l’assistance le point orgasmique de l’infinie douceur des sonorités vocales élaborées par Haendel. Accouplement dans une étonnante et complexe proximité, de deux voix particulièrement hautes mais suffisamment distinctes pour permettre leur mutuelle consécration. Osmose totale avec le public et, notons-le comme une preuve positive, avec des musiciens de la fosse d’orchestre qui, lorsqu’ils ne jouaient pas, se tournaient comme subjugués eux aussi, vers la scène ou semblaient se soumettre à l’esprit voluptueux des arias. Les artistes eux-mêmes donnèrent le sentiment d’être sous l’empire de l’œuvre et montèrent naturellement en puissance vocale.
La mise en scène repose davantage sur la gestuelle – notamment celle des poignards menaçants une Agilea enchaînée – et sur les mimiques qui viennent compléter un jeu d’acteurs d’une exceptionnelle richesse expressive. On regrettera la statue de Minerve en « carton-pâte » du premier acte, seule fausse note si l’on ose dire, parmi les incontestables efforts de mécaniques scéniques qui semblent scrupuleusement suivre le livret original : apparition finale de Medea dans un char tiré par des dragons, feu mis au palais, transformation des enfers en jardin paradisiaque dès le renoncement d’Agilea à son amour pour Teseo. Et même si l’action se déroule dans l’Antiquité grecque, les costumes dix-huitième avec force binettes poudrées (les perruques au temps de Louis XIV) traduisent l’irrémédiable influence française – les trompettes finales de l’intervention divine font immanquablement penser au Te Deum – qui pesa sur le travail de réécriture du librettiste de Haendel inspiré par le « Thésée » de Lully.
XXVème Anniversaire brillamment réussi pour l’Ensemble Baroque dirigé par Gilbert Bezzina qui revient à l’Opéra de Nice après deux ans d’absence. Haendel n’avait pas été joué localement depuis bien plus longtemps. Le public niçois ne doit donc pas bouder cette nouvelle production et l’indescriptible plaisir qu’il sera susceptible d’en retirer.
« Teseo », Drame lyrique en 5 actes de George Frederich Haendel
Ensemble Baroque de Nice, Dimanche 18 mars 14h30, Mardi 20 mars 20h00, jeudi 22 mars 20H00.
Opéra de Nice, 4, 6 rue Saint François-de-Paule, Réservations : 04 92 17 40 00