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22 novembre 2024

Chronique d’une courtoisie extraordinaire

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courtoisie_008.jpg Prenons un spécimen mâle ordinaire. Appelons le Vincent T. Un brin râleur, juste ce qu’il faut, toujours pressé, toujours en retard, un soupçon impatient. Un quidam. Trouvons une ville où son obligation de courtoisie sera mise à mal. Par exemple : Nice. En plein travaux, des déviations abondantes et des spécialités locales comme le stationnement en double file et les deux roues surgissant à tout moment dont on ne sait où, la cité azuréenne regorge de pièges pour les automobilistes souhaitant respecter la journée de la courtoisie au volant.

Le défi ne me fait pas peur. Un journaliste n’a jamais d’obstacles et bien préparé, il ne peut rien lui arriver. Je me motive. Je m’assois derrière mon volant, je souffle un bon coup, je tourne la clé et c’est parti ! Promis, je me contiendrais, rien ne peut m’énerver. Au bout de quelques mètres, la première épreuve survient. Un oubli de lunettes de soleil titille mes râlements face à un soleil aveuglant. Je me retiens. Quelques mètres plus loin, un bus de ville stationne à son arrêt. Manque de clairvoyance et d’anticipation, je me retrouve derrière lui. Je mets mon clignotant à gauche, envahi par la zen attitude, j’attends très patiemment qu’on me laisse passer. Si le bus n’avait pas démarré, j’y serais encore ! Je ne dis rien. Je ne me ferais pas avoir deux fois. Je reste sur la file de gauche. A l’arrêt suivant, un automobiliste, aussi maladroit que moi, reste bloqué derrière le bus. Je compatis, je fais un appel de phare et lui permets de déboîter. Il me remercie sobrement. Premier acte de courtoisie. J’en suis fier. Ce n’est pas si dur d’être courtois au volant. Etait-ce une civilité raffinée ? A vous d’en juger… Conscient que cela ne suffit pas pour qu’on me décerne la palme du plus adorable des conducteurs, je poursuis ma bienséance en laissant traverser les piétons. Incroyable !

Deuxième acte de résistance face à mes vices de mauvais conducteur : n’étant pas très « technologie de pointe », je ne me suis pas encore mis au kit main libre. Habituellement, lorsque mon téléphone sonne, neuf fois sur dix et sans aucun scrupule je réponds. Ce n’est pas bien. C’est en tout cas ce que m’ont dit un jour de flagrant délit des policiers très professionnels. Cette fois-ci, en ce jeudi 5 avril 2007, le téléphone a continué à sonner dans le vide. Tout aussi incroyable ! Je poursuis ma route.

Au premier bouchon, à la sortie Acropolis de la voie Mathis, j’observe discrètement les autres conducteurs. Ils paraissent tranquilles. Un fume sa cigarette, une jeune femme rigole plus ou moins sottement toute seule dans sa Twingo. Elle devait écouter des blagues à la radio. De bonne humeur, je rigole encore plus sottement puisque pour moi il n’y avait aucune raison. Bref, tout le monde reste courtois devant ce premier affront. Sur Félix Faure, ça se corse. Les voitures sont pare choc sur pare choc sur quelques hectomètres. La situation analysée, il me vient une réflexion : c’est beaucoup plus facile de rester courtois lorsqu’on circule sans but précis, sans être attendu, sans chercher à stationner… Je considère alors ce test comme très facile à surmonter. Euphorique, je m’engage sur la Promenade des Anglais. Le soleil tape fort. On n’avance pas. Les touristes sirotant sur les terrasses me rendent quelque peu jaloux. courtoisie_017.jpg Les feux rouges sont très utiles pour noter quelques impressions sur mon carnet. Petit souci, je retarde mes démarrages pour achever mes phrases. Ça klaxonne derrière… Les deux roues se faufilant commencent à me pousser dans mes derniers retranchements de vigilance et de sang froid. Je m’écarte un coup à droite, un coup à gauche… Lassé de ce ralentissement, j’emprunte la rue Cronstadt, ma sauveuse. Un vrai bonheur, tout est calme. Je me sentais à l’abri. Le début d’énervement se désamorce.

De l’angélisme à l’exaspération

Complètement apaisé, tel un héro des temps moderne, je décide de braver l’impossible, l’insupportable, de jouer avec ma vie. Je m’engouffre sur le boulevard Carabacel. Il est 16h30. Tout est bouché. Obligation de maîtriser mes nerfs. La radio m’y aide. Indochine, Portishead sont ma morphine. Je sens les autres soldats (pardon conducteur, voulais-je dire) commencer à perdre leur sang froid. Ils s’engagent et bloquent les carrefours successifs sur Carabacel. J’évite de les imiter. Une voisine s’occupe en corrigeant ses copies de Français. On s’accompagne sur quelques mètres. M’étonnant de son activité, elle se justifie : « C’est une simple question d’habitude ». C’est sûrement le secret : avoir tellement l’habitude de ces situations qu’elles en deviennent ordinaires. Avec courtoisie, je lui souhaite bon courage. Elle me remercie. Et nous continuons notre périple. 30 minutes sur Carabacel! C’est insensé ! Mes nerfs lâchent peu à peu. La décence m’empêche de vous faire part des noms d’oiseaux que j’ai prononcés. Ça commence par un que l’on regrette.courtoisie_019.jpgUNE.jpg Puis un deuxième vient. Un troisième. C’est l’engrenage. La Traversée Barla est une guerre de tranchée : un bus doit couper les trois voies, certains véhicules s’engagent et restent au milieu. Les changements de file incessants accentuent le phénomène. Bref, en un mot comme en cent : un beau merdier.

Le chemin de croix m’amène à longer Acropolis puis le carrefour Delfino. Le tunnel du Paillon est fermé. Je peste contre les travaux. Je m’agace d’avoir voulu jouer les héros. Il est très difficile d’être raffiné au volant. Il faut se rendre d’un point A à un point B. Les pertes de temps exaspèrent. Mais on n’y peut rien. On doit relativiser et se maîtriser. Malgré les conditions de circulation très compliquées, je n’ai vu personne s’énerver après un autre conducteur. Seulement des coups de klaxons de-ci de-là. J’ai vu des signes de remerciements, d’excuses, de désolation. Et tout comme moi, les noms d’oiseaux ne sont pas sortis de la voiture. La journée de la courtoisie au volant, au travers des efforts effectués, prouve qu’on peut faire acte de civilité.

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