Lassé par les idées, terrifié par les émotions, l’homme moderne passe le plus clair de son temps à se quereller avec les chiffres, qu’il trouve plus rassurants : les uns, essentiels comme ceux du chômage ou de l’inflation, les autres, plus futiles comme ceux des intentions de vote au premier et au second tour des élections présidentielles. Certains chiffres, en apparence plus anodins, peuvent devenir franchement insupportables. A l’étranger comme en France, des bornes viennent à cet égard d’être franchies.
A chaque nouvelle année, le ministère iranien de la justice a procédé à l’évaluation du prix du sang ou « Diyeh », une somme que tout responsable de la mort d’une personne, par crime ou par simple accident, doit verser en « compensation » à la famille du défunt. Faut-il voir dans l’augmentation de 34 % de ce « prix » par rapport à l’année précédente, un « juste » retour des profits pétroliers ? Toujours est-il que le montant de l’allocation demeure inférieur pour moitié lorsque la victime est une femme. Après tout, les hommes juifs, chrétiens et zoroastres bénéficient également du même tarif que les chiites…depuis 2003.
L’exécution du journaliste afghan Adjmal Naqshbandi lequel servait d’interprète et de guide au reporter italien Daniele Mastrogiacomo, libéré pour sa part après le versement probable d’une rançon de plusieurs milliers (millions ?) de dollars à ses ravisseurs, en dit également long sur le prix d’une vie dans certaines régions du monde. « Son gouvernement ne s’intéressait pas à son sort » ont déclaré les Talibans à propos de l’accompagnateur afghan. En clair, sa valeur d’échange était égale à zéro. Contrairement aux Occidentaux retenus contre leur gré, sa vie comme sa mort n’avaient pas de prix. Au mauvais sens du terme.
Il convient aussi de balayer devant notre porte. Alors que neuf enfants de Seine et Marne sont nourris « au pain sec et à l’eau » parce que leurs parents négligents ne s’étaient pas acquitté du « prix » de leur repas à la cantine de l’école maternelle, des grands dirigeants d’entreprises aux performances économiques et financières très contestables, empochent des indemnités de départ particulièrement élevées. Si les salaires les plus confortables peuvent être alloués aux patrons qui réussissent, on ne peut que dénoncer l’injustice qui vise à faire payer aux employés, le « prix » d’une gestion défaillante de la direction. L’indécence des 8,54 millions d’Euros pour « récompenser » des erreurs qui, chez Arbus, aboutissent à la suppression de 10 000 emplois n’apaisera en rien la relation déjà conflictuelle des Français avec la richesse et l’argent, certes une étrange particularité de notre pays au sein de l’Europe. Décidément, il est des « justes prix » qui fâchent.