Une journée cannoise comme on les aime : dense et éclectique. Avec un film français un peu décalé, une production américaine spectaculaire et une œuvre issue d’une cinématographie périphérique dans l’esprit de « La Quinzaine des réalisateurs ».
Rester vertical, Alain Guiraudie, France
Léo (Damien Bonnard) rencontre Marie (India Hair), une bergère, sur un grand causse de Lozère. Ils ont un enfant mais, en proie au baby blues, Marie s’en va et Léo se retrouve avec un bébé sur les bras.
On reste perplexe devant ce faux road movie (en fait un incessant aller-retour entre la Lozère et… Brest !), parfois fascinant (la scène finale avec les loups), souvent dérangeant (le bien peu politiquement correct suicide assisté), mais toujours artificiel. Certes, il s’agit d’un conte mais les personnages sont trop impeccablement improbables pour emporter l’adhésion ou plus simplement provoquer une émotion. Quant à la métaphore des loups qui est un peu l’armature du scénario (faut-il les éliminer ou apprendre à vivre avec eux ?), elle est un peu trop démonstrative.
Cependant, au fil des scènes, le film distille une petite musique qui intrigue le spectateur, le tient en haleine et fait que l’œuvre de Guiraudie est loin d’être vaine.
Money Monster, Jodie Foster, USA (Hors compétition)
Lee Gates (George Clooney), animateur-gourou d’une émission financière à la télévision, et Patty (Julia Roberts), sa productrice, sont pris en otage en direct dans les studios par un téléspectateur furieux d’avoir tout perdu après avoir suivi les conseils de Lee.
On s’installe sans attente particulière dans le film de Jodie Foster en pronostiquant qu’il s’agit probablement d’un film Hors compétition qu’Hollywood impose régulièrement à Cannes dans le cadre des échanges de bons procédés. La surprise n’en est que meilleure. Money Monster est un film au suspens haletant parsemé de surprises comme, par exemple, des séquences franchement comiques (la femme du preneur d’otages pourrit celui-ci en direct devant les témoins médusés). Jodie Foster nous replonge également à travers les us et coutumes de Wall street dans « L’horreur économique » dénoncée par Viviane Forestier en son temps.
Et la fin, qui n’est pas particulièrement un happy end, est l’expression d’un fatalisme surprenant mais courageux de la part d’une cinéaste pas forcément engagée.
Sierranevada, Cristi Puiu, Roumanie
« Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais les familles malheureuses le sont chacune à leur façon ». La famille roumaine de Cristi Puiu a bien retenu la leçon d’Anna Karénine en étant malheureuse bien à sa façon.
Pour commémorer la mort du patriarche de la famille, trois générations se retrouvent dans le petit appartement HLM de la veuve du défunt pour pratiquer quelques rites gastronomico-religieux apparemment liés à l’orthodoxie. Le huis clos va être ravageur en révélant conflits, contradictions, contentieux, petits secrets (on n’est quand même pas dans « Festen »). De la grand-mère communiste au neveu conspirationniste en passant par le militaire, le prêtre orthodoxe, la petite-fille camée et quelques femmes au bord de la crise de nerfs, on a un mélange familial détonnant qui pourrait bien être un échantillon de la société roumaine de 2016.
Famille, je vous hais ! Famille, je vous aime ! Le réalisateur laisse les spectateurs juger car les protagonistes plutôt désabusés semblent considérer que de toute façon la famille (la société post-communiste) n’est pas une option mais une fatalité.
L’exercice cinématographique minimaliste – une sorte de long plan séquence – est brillant (c’est aussi, à ma connaissance, le premier long métrage où est évoqué l’attentat de Charlie), mais il est quand même très long (2 heures 53). Le réduire d’une heure lui aurait probablement donné plus de force.
par Patrick Mottard