Près d’un millier personnes étaient dans la rue ce mardi à l’appel de plusieurs syndicats pour demander au gouvernement de retirer le projet de loi Travail.
Décidément, le recours à l’article 49-3 de la Constitution, qui permet d’adapter un texte (en l’occurrence la loi Travail) sans le vote des députés ne passe absolument pas.
Plusieurs syndicats, opposés à cette loi, ont appelé à manifester à Nice, aujourd’hui, à partir de la gare SNCF.
La manifestation a rassemblé plusieurs centaines de personnes, qui demandent le retrait de ce projet de loi. Une nouvelle journée de protestation est prévue ce jeudi.
Les conséquences du recours au 49.3 vont bien au-delà de la loi El Khomri ou précédemment de la loi Macron. Elles remettent en question l’équilibre des pouvoirs et la crédibilité de la démocratie représentative en France.
Le pouvoir législatif, sensé contrôler l’action du gouvernement, est privé de sa prérogative, amender et voter une loi, et se trouve renvoyé facticement à un quasi inaccessible pouvoir de censure. Cette mise au pas répétée du pouvoir législatif intervient après que le pouvoir judiciaire ait lui aussi été affaibli par la Loi renseignement et le recours à un état d’urgence sans cesse prolongé. Ce qui est en question ici, ce n’est rien de moins que l’équilibre des pouvoirs en France, tant le pouvoir exécutif ressort excessivement renforcé par ce mandat.
D’une façon plus large, les dénis successifs de démocratie depuis le non respect du vote référendaire en 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen, les comportements de caste et les mœurs de la classe politique, l’affairisme, la corruption ou tout simplement le manquement à la parole donnée ne font que renforcer le rejet du système médiatico-politique en place. Or ce rejet alimente au moins trois phénomènes : l’extrême droite, l’abstention et la tentation de la démocratie directe.
Le vote Front National se nourrit du rejet du système, rejet d’autant plus fort que la démocratie est faible. Plus le peuple est bafoué, plus le FN monte. Et, quand bien même le FN démontre années après années qu’il est un parti comme un autre au regard des luttes de pouvoir internes, des avantages et des pratiques financières les plus douteuses, il n’en demeure pas moins le principal bénéficiaire électoral de l’irrespect de la volonté populaire.
L’abstention, en progression constante, revêt de nouveaux visages. A l’abstention par désintérêt s’ajoute une abstention de refus : refus de se prêter à un simulacre de pouvoir de décision des citoyens, refus de cautionner le système en place. Des citoyens informés, engagés dans le monde associatif, pratiquent désormais un « abstentionnisme militant ». Le recours au 49.3 ne fait que confirmer leur intime conviction, renforce et légitime leur retrait du geste électoral.
La tentation de la démocratie directe est forte et se double elle aussi d’un rejet massif du personnel et des mœurs politiques. Les idées de tirage au sort, d’assemblée constituante, de contrôles citoyens et de révocabilité des élus sont plébiscitées. Plusieurs partis et personnalités de gauche portent ces idées nouvelles et nous sommes nombreux à appeler de nos vœux une VIème République.
Si la contestation de la loi El Khomri par la voie parlementaire échoue sur l’autel du 49.3, il ne reste que l’action syndicale et Nuit Debout pour protester. Nuit Debout développe une pratique de la démocratie directe, parfois en complète défiance de la démocratie représentative. De jeunes citoyens y découvrent l’action collective dans le rejet de toute représentation et la hantise de la récupération politique et médiatique. A Nice, les débats sur une éventuelle candidature Nuit Debout aux élections législatives partielles et, finalement, son retrait, sont significatifs. Nuit Debout oscille entre démocratie directe, expérimentale, et démocratie représentative.
On le voit, le recours au 49.3 participe d’une politique du pire, totalement irresponsable en ces périodes de crises économique, sociale et identitaire. Rompre l’équilibre des pouvoirs et affaiblir la démocratie représentative est dangereux. Au mieux, ce processus renforcera des expérimentations citoyennes dont peut naître l’alternative, comme Nuit Debout. Au pire, il poussera massivement à l’abstention et à son corollaire électoral : la montée du FN.
par David Nakache
