En introduction au colloque « République, laïcité, état des lieux » qui s’est tenu à Nice le 18 juin dernier, avec la participation, entre autres, de Jean-François Khan, Ghaleb Bencheikh et Gilles Kepel, Eric Ciotti a livré un condensé de sa pensée sur le sujet, qui comporte au moins trois erreurs de base :
1. La laïcité n’est pas une valeur
Éric Ciotti propose d’ajouter la laïcité à la devise de la République française.
Or, si la liberté, l’égalité et la fraternité sont des valeurs, la laïcité, elle, est un cadre juridique. Elle garantit la liberté de conscience, le libre exercice du culte dans le respect de l’ordre public, la séparation de Églises et de l’État, la neutralité des pouvoirs publics en matière de religion. En faire une valeur tend à l’essentialiser, à en faire un absolu alors que ce n’est qu’une modalité d’exercice du pouvoir et d’encadrement du fait religieux. Que les hommes soient libres, égaux et frères est un idéal républicain. Que l’État ne reconnaisse et ne privilégie aucune religion officielle au détriment d’une autre est une mode de gouvernance.
2. La laïcité n’est pas à géométrie variable
Si Eric Ciotti s’insurge contre le recul de la laïcité et en appel à une fermeté intransigeante vis à vis de l’islam, c’est pour mieux réaffirmer l’identité chrétienne de la France.
Il a donc proposé, sous couvert d’un riche passé historique, d’inscrire les racines chrétienne de la France dans la Constitution. Il a, de même, sous couvert de tradition, installé des crèches à Noël dans les bâtiments du Département des Alpes-Maritimes. Or si la laïcité pose la neutralité de l’État en matière de religion, c’est vis à vis de toutes les religions de façon égale. La laïcité est la même pour tous. Elle ne peut servir de prétexte pour réaffirmer la primauté d’une religion et d’une culture confessionnelle sur une autre. Le différentialisme culturel imposant la légitimité d’une culture ou d’une civilisation sur une autre n’est en réalité qu’une nouvelle forme de racisme soft. Et si la loi de 1905 empêche la République française de reconnaître telle ou telle religion comme religion d’État au détriment d’une autre, ce n’est pas pour rappeler ensuite ses « racines » confessionnelles.
3. La laïcité n’est pas le rejet d’une religion
Si la loi de 2010 interdit le port de la Burqa, c’est à des fins sécuritaires pour permettre l’identification des personnes.
Si la loi de 2004 interdit le signes ostensibles c’est uniquement dans les établissements scolaires et pour les mineurs.
Si la laïcité impose la neutralité en matière de religion dans l’espace public cette neutralité s’applique uniquement aux représentants de l’Etat et non au citoyen qui, lui, a le droit de porter kippa, soutane ou foulard dans la rue.
En voulant étendre la neutralité en matière de religion, et donc en souhaitant interdire le port de signes religieux à tous les usagers du service public, aux salariés du secteur privé, aux étudiants à l’université puis à tout un chacun dans la rue et l’espace public, Éric Ciotti fait de la laïcité la négation du fait religieux, une laïcité de contrainte, exclusivement punitive, alors qu’en garantissant la liberté de culte de chacun dans le respect de la loi, elle demeure avant tout un principe émancipatoire.
Eric Ciotti prône donc non pas une laïcité ferme ou intransigeante mais radicalisée, une vision partant de la laïcité pour arriver à un au-delà du modèle laïque français entrant en contradiction avec la loi de 1905 et notre Constitution.
L’affirmation quasi obsessionnelle de la primauté de la culture chrétienne sur l’islam ne peut que contribuer à entraver encore un peu plus le vivre-ensemble. La logique de guerre des civilisations est ainsi importée en France au travers une néfaste guerre des identités.
En définitive, en dépit des belles phrases et des beaux principes, l’ensemble du colloque organisé par Éric Ciotti n’est qu’une diatribe subtile et raffinée pour redire ce que le FN affirme depuis longtemps de façon plus rustre : « on est chez nous. »
par David Nakache