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24 novembre 2024

Sécurité et Identité: Entre Fantasmes et Réalités

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Nous relatons les propos de Olivier Roy Olivier Roy, né en 1949, est un politologue français, spécialiste de l’Islam.

Depuis septembre 2009, il est professeur à l’Institut universitaire européen de Florence (Italie), où il dirige le Programme méditerranéen.


Quel constat avez-vous de la place de l’Islam aujourd’hui en France et plus largement en Europe dans le débat public?

Olivier Roy: La place de l’Islam est centrale dans le débat public aujourd’hui en France et en Europe. Or elle recoupe d’autres thèmes: celui de l’immigration, amené par le Front National en France à partir de la fin des années 70; celui des réfugiés, comme si ces derniers étaient tous musulmans; ou encore celui des attentats. Ces trois perceptions sont liées à l’idée d’une menace extérieure. Et on retrouve la question fondamentale de l’identité, qui est posée comme étant essentiellement liée à l’Islam, mais en réalité va bien au-delà. La question identitaire, et en particulier le sentiment d’insécurité identitaire observable un peu partout, vient surtout de la crise de l’Etat nation, Etat nation remis en cause par la construction européenne d’un côté et par l’immigration de l’autre. Ce n’est pas un hasard si beaucoup d’islamophobes aujourd’hui sont également anti-européens.

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Le deuxième élément, c’est la lecture en termes de choc de civilisations: on oppose à l’Islam des valeurs européennes qui seraient fondées uniquement sur la démocratie, les droits de l’homme, les droits des homosexuels, etc. Or il y a d’autres familles de valeurs en Europe: il y a la libérale qui regroupe ces droits, autour notamment du statut de la femme et de la sexualité, mais également la chrétienne qui est très différente: on ne peut pas dire que l’Eglise défende les droits des homosexuels et ait une conception très féministe de l’émancipation des femmes. Elle a notamment combattu avec force récemment l’enseignement de la « théorie du genre » dans les écoles. On ne veut pas voir cette ambiguïté qui existe sur l’identité européenne, tantôt fondée sur la chrétienté, tantôt sur les acquis libéraux des années 60. La question est donc au départ très mal posée. On répond par une vision séculière à une question identitaire, et en France la gauche refuse de regarder en face la question chrétienne, comme si elle était définitivement réglée par la loi de 1905. Or il existe bien encore aujourd’hui une Europe religieuse. Et en voulant expulser en France complètement l’Eglise de l’espace public, on fait le jeu de l’extrême droite qui la récupère.

Comment la question de l’Islam est-elle aujourd’hui liée à celle de l’insécurité, en particulier suite aux attentats de 2015 et 2016?

Olivier Roy: La question de fond est dans quelle mesure ce terrorisme islamique se rattache-t-il à l’Islam? Car il y a d’autres actes terroristes, comme Anders Breivik par exemple qui a assassiné en Norvège au nom du catholicisme blanc en 2011. Mais depuis 2001 en effet, il y a eu principalement des actes de terrorisme en Europe se réclamant de l’Islam. Or ce terrorisme est-il une conséquence de la radicalisation du religieux, ou bien observe-t-on comme je l’affirme une islamisation de la radicalité? Quels rapports entretiennent ces jeunes marginaux qui ont commis des actes terroristes avec la communauté religieuse dont ils se réclament? Il y a un débat à avoir sur la violence chez les jeunes qui n’est certainement pas qu’une question d’Islam. Qu’ils soient convertis ou bien de seconde génération, force est de constater que leur révolte s’inscrit elle dans un discours islamique. Mais c’est parce que sur le marché de la radicalisation, le modèle islamique est le plus présent. Et si c’est le plus présent, c’est aussi parce que la radicalisation d’extrême gauche a disparu de la scène globale. Il y a toujours eu en Europe depuis de nombreuses décennies du terrorisme lié à l’extrême gauche: que ce soit les Brigades Rouges, la Bande à Baader, etc. Mais sur le marché de la contestation radicale à l’échelle globale, il n’y a malheureusement plus aujourd’hui que Daesh.

Est-ce que vous expliquez la montée des partis xénophobes en Europe par l’insécurité identitaire ressentie par une partie de la population face à la place que prend l’Islam dans le débat public? Comment répondre à cela?

Olivier Roy: L’insécurité identitaire qui se développe n’est pas causée par l’Islam, mais bien par la crise de l’Etat nation. La question de l’« identité » est plutôt assez récente, c’est une nouvelle venue dans le champ politique. Avant, cette question existait seulement à l’extrême droite, avec un auteur comme Alain de Benoist. C’est Nicolas Sarkozy qui a donné en France au débat sur l’identité ses « lettres de noblesse ». Si ce concept est ultra dominant aujourd’hui, c’est surtout parce que d’autres concepts ne sont plus opérants, comme la lutte des classes, le clivage gauche-droite, etc. La gauche est devenue libérale sur le plan économique mais a abandonné le libéralisme des valeurs. A l’inverse, la droite s’est ouverte sur le plan des valeurs. Jusque dans les années 80, à droite on défendait des valeurs traditionnelles. Puis il y a eu Margaret Thatcher, Nicolas Sarkozy, etc. Aujourd’hui, la nouvelle génération du Parti populaire espagnol par exemple est devenue libérale sur le plan des valeurs, de même la droite italienne devenue épicurienne avec Berlusconi, etc. La gauche ne l’a pas vu venir, que ce soit sur le plan des classes ou sur celui des valeurs. Ne reste plus que l’identité ou à l’opposé l’anarchisme pour se situer.

Il me semble qu’il faut arrêter de se préoccuper de ce que dit le Coran et cesser de faire du théologique, pour gérer l’Islam concrètement. On traite la religion comme si elle constituait une menace pour les droits de l’Homme, mais la liberté religieuse fait partie des droits de l’homme. Aucun acteur politique ne demande aujourd’hui à l’Eglise l’ordination des femmes, alors qu’on se permet tout avec l’Islam. Il faut repenser la question de l’Islam dans le cadre de la liberté religieuse offerte par une démocratie moderne et en revenir à du concret, à une vision juridique et constitutionnelle de la question religieuse. En faisant des statistiques sociologiques de base, on s’apercevra qu’il y a en France et en Europe des classes moyennes musulmanes et que l’ascenseur social a pu fonctionner. Mais dans la tête des gens, les musulmans se sont les jeunes de banlieue et les « barbus ». On a une vision imaginaire et fantasmée de l’Islam et on ne voit pas les vrais changements réels. Il est urgent d’ouvrir les yeux.

Est-ce que le pouvoir politique et le législateur vous paraissent actuellement apporter les bonnes réponses aux enjeux de sécurité identitaire?

Olivier Roy: Sur le plan sécuritaire, la politique actuelle est une politique de sécurité somme toute classique et qui se veut efficace en termes de protection physique de la population. Par définition, une politique sécuritaire de la sorte entre en tension avec les libertés et la sauvegarde des droits de l’homme. On peut alors avoir des débats légitimes sur l’équilibre à trouver entre sécurité et respect des libertés. C’est bien entendu un enjeu important, mais l’urgence me semble-t-il est avant tout de ne pas se tromper de danger. Si l’on considère par exemple que n’importe quel signe de radicalisation religieuse constitue un indice de terrorisme potentiel, on se trompe de cible et on risque alors de passer à côté de vraies menaces. Interdire le voile à l’université par exemple, faire la chasse aux produits hallal ou encore supprimer les repas végétariens dans les cantines en amalgamant cela avec une quelconque menace terroriste est totalement scandaleux.

Quelles seraient pour vous les bonnes réponses, tant politiques qu’économiques et sociales, à adopter face à cette insécurité identitaire et à la peur de l’Islam que l’on observe monter actuellement partout en France et en Europe?

Olivier Roy: On est dans une crise des imaginaires politiques. Et l’Union européenne est incapable de nous offrir un imaginaire désirable. On a atteint les limites du modèle européen. Il faut absolument démocratiser les institutions européennes, et le Parlement européen doit notamment jouer un plus grand rôle. Il faut également repenser l’Etat nation sur la base d’une réhabilitation de la vie politique citoyenne, et commencer tout en bas à l’échelle municipale. Il faut absolument développer la démocratie locale au lieu de la réduire. Sur le plan économique, la gauche a malheureusement totalement manqué le rendez-vous avec les banlieues, en particulier sur la question des violences policières. Les Français sont les « champions » en Europe en termes de violence dans les rapports police-citoyens. Il faut également tirer les conséquences de la liberté religieuse, et arrêter par exemple de présenter les gens de la Manif pour tous comme des fascistes. Oui il y a de nombreux croyants, et ce ne sont pas tous des terroristes potentiels. Il faut revoir cette conception autoritaire de la laïcité qui laisse du coup la religion aux marginaux et aux radicaux. Il faut imaginer une relation apaisée avec toutes les religions. On parle toujours du communautarisme musulman, mais il se développe également chez les Juifs orthodoxes, notamment dans l’espace scolaire. L’Etat finit par pousser les religions à se constituer en contre société. Il s’agit de repenser la liberté religieuse en France dans le cadre de la loi de 1905 qui est une excellente loi.

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