L’Europe a encore rendez-vous avec son histoire les 21 et 22 juin prochains. Ce Conseil Européen transformera les chefs d’Etat et de Gouvernement des 27 pays membres en autant de négociateurs. Ceux-ci devront parvenir à s’entendre sur un nouveau Traité destiné à remplacer, amender ou « simplifier » le projet de Constitution européenne. Projet rejeté en 2005 par la France et les Pays-Bas mais – faut-il le rappeler – ratifié par 18 autres Etats européens. Tous les juristes le savent : annuler un contrat requiert moins de difficultés que le fait de chercher à en modifier seulement certaines clauses. Les préparatifs de cette réunion donnent le sentiment d’un grand marchandage général, au fond comme sur la forme, chacun s’efforçant de profiter de l’occasion pour obtenir un avantage ou une concession. Tentation d’autant plus grande qu’elle paraît offrir à tous, l’illusion politiquement acceptable de doter l’Europe d’habits totalement neufs.
Les uns évoquent ainsi la disparition dans le futur Traité de la mention des « symboles » européens forts, inacceptables aux yeux des nationalistes, comme son drapeau, son hymne, sa fête annuelle, voire sa monnaie. Ce sont pourtant dans ces symboles qu’une grande part des populations européennes se reconnaît aujourd’hui et non dans le changement d’appellation des textes émanant de Bruxelles, qu’ils se nomment « directives » ou « lois-cadres européennes ». D’autres visent à obtenir la suppression du futur « Ministre des Affaires étrangères » de l’Union dont l’Europe aurait pourtant bien besoin pour renforcer son existence sur la scène internationale mais dont le principe heurte la souveraineté exigeante des diplomaties traditionnelles. Pendant que certains insistent pour obtenir un élargissement des domaines où serait admis le vote à majorité qualifié, des irréductibles se battent pour bénéficier d’un système de pondération des voix plus favorable à leurs intérêts. Sans parler des tentatives de « camoufler » l’intégration de dispositions essentielles en simples amendements de textes plus anciens et non soumis, en conséquence, à l’approbation, fut-elle populaire ou parlementaire.
Le rejet, par une large majorité des Français, du projet de Constitution européenne, s’expliquait par la complexité souvent embrouillée du texte central, par son grave défaut d’explicitations et, rappelons le, par la possibilité, offerte sur un plateau par cette consultation électorale, de sanctionner un gouvernement resté à l’époque sourd aux appels répétés de changements. A la lumière du taux d’abstention lors du premier tour des récentes élections législatives, un record sous la Vème République, il n’est pas assuré que le seul vote parlementaire sur ce nouveau « Traité » satisfasse la plupart de nos compatriotes, toujours prompts à se méfier lorsqu’il s’agit de l’Europe. Pour peu que cette dernière ne joue pas complètement la transparence dans l’élaboration de ces nouvelles règles, il est à craindre que ce rendez-vous entre un peuple et l’Idée européenne ne soit encore raté. Dans une Tribune « éclairante » au « Monde » qu’il signe comme ancien président de la Convention européenne, Valéry Giscard d’Estaing réclame, comme Goethe, « mehr Licht ». « Plus de lumière…pour l’Europe » enchaîne l’ancien Président de la République. Espérons que l’Europe jouisse de cette grâce sans être, comme le poète allemand lorsqu’il prononça ces paroles, à l’ultime instant de son agonie.