Razzia est un film multifacettes qui décrit avec force la complexité du Maroc d’aujourd’hui. Comme un miroir , il reflète 5 histoires, 5 parcours, 5 personnalités (et autant de comédiens parmi lesquels surnage Maryam Touzani ), 5 destinés qui sont reliées sans le savoir.
Les cinq destins des personnages principaux sont-ils une sorte de découpe anatomique de la société marocaine contemporaine, cinq archétypes révélant différents visages, différentes trajectoires, différentes luttes mais une même quête de liberté.
Trois ans après Much Loved, le cinéaste Nabil Ayouch revient avec « Razzia », un long métrage co-écrit avec la scénariste et star du film, Maryam Touzani. Il y dresse un nouveau portrait du Maroc, après la violence de la censure pour son film précédent.
Le cinéaste engagé renoue avec la volonté de conter son pays pour poser un regard lucide éloquent sur la société marocaine.
Point de départ de ce nouveau long métrage l’année 1982, les magnifiques décors des montagnes de l’Atlas où l’on fait connaissance avec Abdallah, un professeur à l’écoute de ses élèves dans un village isolé. Un homme très apprécié dont le destin va basculer à l’arrivée d’un inspecteur venu faire appliquer les nouvelles doctrines étatiques, en l’occurrence : imposer la langue arabe dans l’enseignement alors que les élèves ne comprennent que le dialecte berbère. Des réformes prémices et point de bascule du Maroc vers le salafisme occasionnant la fuite contrainte d’Abdallah complètement meurtri, et refusant avec obstination d’enseigner cette réforme rigoriste de l’éducation islamique commune à trois pays du Maghreb (Tunisie, Algérie et Maroc). « Partir et vivre libre, rester et se battre… mais se battre contre quoi ? » entend-on en voix off, toute la problématique du film est posée.
Le long métrage bascule ensuite directement en 2015, pour nous entraîner dans les rues d’une grande ville, où l’on suit la ravissante Salima en robe courte et cheveux lâchés traverser la cité pour aller se baigner dans l’océan Atlantique, alors qu’une virulente manifestation se déroule, contre la réforme de la loi sur le code l’héritage où les femmes montent au créneau avec des banderoles « Non, on ne veut pas de l’égalité dans l’héritage ».
Une vague de censure et d’événements qui entrent en conflit avec l’envie d’émancipation d’une certaine jeunesse connectée via la technologie moderne (tel portable, internet, chaînes télévisuelles satellitaires), au monde occidental et toutes ses représentations. Entre la tradition ancestrale, le formatage par la langue, l’envie de liberté, le décor est planté pour une étude sociologique et un combat quotidien dans un pays constamment sous tensions.
Cette narration foisonnante permet de multiplier les points de vue et d’offrir un portrait lucide et un constat inquiétant, mais sans occulter une fureur de vivre et l’espoir chevillé au cœur de tous les personnages de l’histoire de se libérer des carcans, et de vivre enfin selon leur propre désir.
Dans un pays où la censure cloisonne tout, où la notion d’imaginaire et d’identité sont factices l’auteur nous projette dans un tumulte à Casablanca, et nous fait espérer qu’après la nuit, « du chaos naît les étoiles », lors d’une dernière séquence émouvante.
Un long métrage courageux et salutaire riche en questionnements (la problématique de l’éducation au Maroc, le sexisme, les violences contre les femmes, l’homophobie, le manque de libertés individuelles ou l’antisémitisme). Une admirable réponse à l’intolérance.