Nice Premium : Comment avez-vous approché votre personnage ?
Jean-Claude Adelin : Je suis parti un mois avant le tournage à Cuba. J’ai pratiquement vécu 30 jours avec le réalisateur. On parlait beaucoup des jeunes noirs, d’immigration … J’ai lu beaucoup de documentations, des livres d’Histoire. J’ai également lu le code noir. Si vous ne l’avez pas lu, je vous le conseille. C’est le livre le plus horrible après Mein Kampf. C’est 60 articles de loi écrits par Colbert. C’est la loi française de l’époque qui autorisait l’esclavage et qui expliquait aux blancs comment ils devaient gérer les esclaves c’est-à-dire comme des bêtes et comme un instrument de travail. C’est très fort à lire. Moi, ça m’a bouleversé. J’ai affiché le code noir dans ma chambre et j’avais également affiché une photo de tous les personnages de « Tropiques Amers ». J’ai vécu un mois comme ça.
N-P : C’était pour vous imprimer ?
J-C A. : Oui, en plus on était à Cuba. C’était une opportunité extraordinaire. A Cuba, il y a beaucoup de racisme. Il y a une hiérarchie terrible : l’Etat et les Hommes qui ne sont pas tout à fait traités comme des hommes ou des femmes. Il y avait une ségrégation qui était terrible. Ce sont les noirs qui balaient, les noirs qui vous portent à manger et pas les blancs. Et à la production, c’était que des blancs, il n’y avait pas de noir. Et entre blanc et noir, vous avez toute la déclinaison de couleurs. Du clair au marron plus foncé, il y a également du racisme à l’intérieur. C’était un terrain très favorable pour mon personnage.
N-P : Un personnage très différent de Jean-Claude Adelin.
J-C. A. : A votre avis ?
N-P : Oui.
J-C A. : Oui, oui très différent. Ça rien à voir. Je pense que c’est même l’opposé qui a fait cela. Je trouve que c’est ce que j’ai fait de plus beau. Quand j’ai lu le scénario, ça coupe le souffle. Je n’avais plus envie d’y aller. J’avais peur. Je n’arriverais jamais à faire ça. Je ne pouvais pas jouer et faire semblant, on ne peut pas faire semblant, rien que pour le travail de mémoire et le respect des gens qui ont vécu ces histoires-là. Les ancêtres de nos acteurs qui étaient avec nous, ont vécus ça. Le réalisateur m’a beaucoup aidé, parce que c’est un guadeloupéen, et c’est un homme avec un cœur énorme. La violence que j’ai ressentie, je l’ai mise au service du personnage parce que j’avais une espèce de rage et de désespoir très violents. Ce n’est plus jamais ça. Le personnage que j’interprète est extrêmement violent.
N-P : Violent, mais on s’y attache.
J-C A. : Oui, il est attachant. C’est d’ailleurs fait très intelligemment. Il n’est pas manichéen. Ils ne sont pas tous horribles. Ils ne sont pas tous immondes et abjects. Il y a aussi des gens qui avaient un cœur. Et lui, il était dans une structure. Il était là pour travailler, c’était une usine. Il y avait des ouvriers qui faisaient du sucre. C’était le système économique français qui était mis en place. C’est uniquement une question d’argent. Pourquoi il y a eu des esclaves ? Au départ, c’était des blancs : orphelins, repris de justice, aventuriers … ils faisaient des contrats de 3 ans. Mais le problème c’est que les blancs ne tenaient pas trois ans dans ces conditions (chaleur, mal nutrition …). Il fallait donc trouver autre chose. Ils sont allés chercher des africains car ils sont habitués au soleil.
N-P : Ce film est fort en émotion. Il retrace une partie d’une Histoire presque inconnue puisque si l’on regarde un livre d’Histoire scolaire, seul un petit paragraphe en fait référence. A l’école, on apprend juste la date de l’abolition de l’esclave.
J-C A. : Oui …. Trois, quatre dates … C’est pourtant important de dire. C’est important que les gens voient ce film, qu’ils prennent conscience de ça. Il faut qu’ils connaissent. Il ne faut plus qu’il y ait des non-dits, car une fois qu’il n’y a plus de non-dit, on peut passer à autre chose.
Je voudrais que ce film soit vu, c’est une nécessité.
N-P : « Tropiques Amers « est un film à montrer dans les écoles.
J-C A. : Exactement. D’ailleurs, on est allé en banlieue parisienne à la DdASS pour discuter avec les enfants qui ont vu la série. A chaque opportunité, je le ferais.
N-P : Comment on en sort de ce personnage ?
J-C A. : On en sort pas. D’ailleurs, je n’ai pas envie, il ne faut pas en sortir. Il faut en garder. Les personnages qu’on rencontre, surtout ce qui s’impose et qui remue tellement de chose en moi, se serait dommage de le quitter. Il m’a tellement apporté. Je ne vois plus la vie comme avant. C’est étonnant de dire ça. Maintenant, je n’ai plus envie de me taire. Avant, je n’osais pas. Mais, au contraire, il faut parler, c’est important. Si on ne parle pas, ça continue.
N-P : Jean-Claude Adelin était coiffeur avant.
J-C A. : Oui.
N-P comment est il devenu comédien ?
J-C A. : Par un enchaînement d’opportunités. J’ai eu un père pas facile, mais passionné de cinéma. Les seuls bonheurs que j’avais avec lui, c’était face à la télévision, on regardait les westerns, les polars américains, français, des années 40-50-60. Au début, je travaillais dans le bâtiment, où je me gelais à faire des trous dans les murs pour passer des câbles électriques. Ensuite, j’avais une fiancée qui était coiffeuse. Elle gagnait plus que moi, elle avait des pourboires et puis c’est un milieu où les filles sont belles alors quand on a 16 ans, on change vite d’orientation. J’ai arrêté le bâtiment. Un jour, j’ai fait un remplacement de coiffeur sur un film. Et voilà, ça met tomber dessus.
N-P : Comédien mais également réalisateur.
J-C A. : Oui, j’ai réalisé deux courts métrages et un documentaire. Je prépare un long métrage sur les détenus vus de l’autre côté, de la famille. J’écris avec un ex détenu qui a fait 18 ans. J’ai fait parti d’une association qui est malheureusement terminée de femmes de détenus. C’est pas facile pour elles, elles sont aussi prisonnières. Le détenu n’est jamais proche géographiquement de sa famille, leur prison est à l’autre bout de la France. On casse le mental des détenus et de la famille en les séparant. Il n’y a pas de tendresse possible au parloir. Si c’est le cas, ils sont punis, alors que la punition de la loi consiste à protéger la société de cette personne qui a commis un délit, mais il n’y a aucun article de loi qui dit que le détenu doit être privé de tendresse et de rapprochement affectif. De Gaulle a dit : « je ne soulèverais jamais le couvercle des prisons de la France » ; les poubelles de la France, personne n’ose le faire.
Il y a beaucoup de choses à faire, je ne pense pas que c’est désespéré. Il faut que les jeunes générations soient au courant afin qu’il puisse créer un monde meilleur.
INFO :
Si vous avez manqué la diffusion sur France 3, la série « Tropiques Amers » est disponible en DVD.