La mobilisation des Gilets jaunes, avec pour seul mot d’ordre le blocage général pour répondre à l’urgence sociale, est le symptôme de notre échec collectif à proposer une alternative émancipatrice convaincante. Même si la colère est plus que légitime, j’appelle tous ceux qui partagent des valeurs de solidarité et d’humanisme à se désolidariser d’un mouvement en partie poussé par l’extrême droite.
A celles et ceux qui me sollicitaient pour relayer la mobilisation du 17 novembre, voir pour participer à « l’organisation » du mouvement dans les Alpes-Maritimes, j’ai répondu via les réseaux sociaux le 2 novembre que je refusais toute collusion avec l’extrême droite. Voir depuis Eric Ciotti, Laurent Wauquiez, Dieudonné ou Florian Philippot parmi les gilets jaunes ne dément ni mes propos et mes craintes. Voir des agressions racistes et homophobes émailler la mobilisation les a tristement confirmés.
Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont appelé au succès des « Gilets jaunes ». En réalité, plus la mobilisation des Gilets jaunes sera un succès, plus elle sera le marqueur de notre échec collectif, et ce à plusieurs niveaux :
- La colère des Gilets jaunes est parfaitement légitime. Plus encore qu’une colère, c’est un cri de désespoir et d’écœurement. La pauvreté croissante, l’écrasement des classes moyennes, la baisse globale du pouvoir d’achat et l’angoisse de l’insécurité sociale sont les effets immédiats d’un libéralisme aveugle, appliqué méthodiquement et sans discontinuité depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Nous avons été collectivement incapables d’endiguer ce processus déshumanisant.
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Seul le mot d’ordre de blocage général du système est aujourd’hui fédérateur et à même de mobiliser des personnes dont beaucoup ne manifestent d’habitude pas. Or la façon dont Emmanuel Macron, son gouvernement et sa majorité exercent le pouvoir n’est pas étrangère à cela : face au mépris, seul le rapport de force est envisageable. Ce sont « ceux qui ne sont rien », les « illettrés », les « fainéants » et ceux qui n’ont « qu’à traverser la rue » pour trouver un travail qui sont dans la rue. La violence du mouvement est la réponse directe à l’arrogance et la morgue du pouvoir macronien.
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L’incapacité des partis politiques classiques à incarner une alternative aux yeux des manifestants est patente. Qu’ils restent extérieurs au mouvement ou qu’ils courent derrière pour tenter une récupération électorale, les partis politiques sont inaptes à représenter une solution crédible et sont, de fait, disqualifiés. Quand bien même certains proposent des solutions alternatives plus justes à l’augmentation des taxes sur le carburant, ils ne sont pas entendus. Pire encore, le fait que l’on oppose encore, en France, pouvoir d’achat et préservation de l’environnement symbolise l’échec des partis porteur de l’écologie politique.
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La mobilisation des gilets jaunes constitue une réponse à Nuit Debout et aux limites de l’éducation populaire. Les indignés, Nuit Debout, les ZAD et les Gilets jaunes peuvent être perçus comme un continuum de mouvements citoyens témoignant d’une société civile en mouvement constant, d’une démocratie bien vivante. Mais dans le même temps, alors que les ZAD sont des mobilisations écologistes, les gilets jaunes, pris par l’urgence de la crise sociale, font passer le pouvoir d’achat avant la préservation de la planète. Alors que Nuit Debout cherchaient à penser collectivement une société plus juste et a buté sur la convergence des luttes, les Gilets jaunes veulent bloquer le pays pour obtenir des conditions de vie meilleures sans chercher à se mettre d’accord sur d’autres objectifs. L’éducation populaire agit sur un temps long et ne peut apporter de réponse à une urgence sociale.
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La tentation populiste. Hannah Arendt explique que les systèmes totalitaires ont réussi à fédérer les masses d’individus éparses, esseulés, sans appartenance communautaire, syndicale ou politique. Or, avant de prendre le pouvoir, ces mouvements totalitaires étaient des forces contestataires. Aujourd’hui, l’Europe est parcourue de mouvements populistes de masse défilant dans les rues en affichant souvent, sans aucun état d’âme, leur nostalgie du fascisme. La France semblait étrangement épargnée par ce phénomène. Seule la « Manif pour tous » avait soulevé les foules lors du mandat Hollande. Il y a actuellement, en France, une frustration latente, un besoin d’occuper la rue et de constituer une force de blocage pour une grande part de l’électorat d’extrême droite. Les agressions islamophobes et homophobes au sein des Gilets jaunes sont graves et inquiétantes. La présence de leaders de droite extrême et d’extrême droite dans le mouvement ne semble pas contestée par les manifestants et nous n’avons pas assisté à des scènes de rejets à leur encontre.
J’appelle toutes les personnes partageant des valeurs de solidarité et d’humanisme à se désolidariser du mouvement des Gilets jaunes. Ne cautionnez pas les actes de discriminations. Ne participez pas à l’émergence d’un mouvement mené en partie par l’extrême droite. Nous trouverons d’autres moyens, nous ouvrirons d’autres voies permettant de se faire entendre. Si le blocage peut être une solution ultime pour obtenir des conditions de vie dignes pour tous, il doit être organisé, structuré, afin d’éviter tout acte de violence et tout débordement. Si les revendications pour un meilleur niveau de vie sont légitimes, elles doivent s’accompagner d’une vision cohérente du progrès social, de la préservation de l’environnement et de l’émancipation individuelle et collective.
David Nakache , Président de l’association « Tous citoyens ! »