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22 novembre 2024

Une Saga au pied d’un géant de la littérature allemande : « Thomas Mann, Une affaire de famille » par Hildegard Möller

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mann.jpg Une biographie traditionnelle se concentre en général « sur » la vie d’un personnage. Celle d’Hildegard Möller s’intéresse avec autant de méticulosité à son entourage. Elle relance ainsi l’éternel débat, toujours vif chez les puristes littéraires – voir la controverse sur la lecture de la lettre de Guy Môquet dans les établissements scolaires – sur la question de savoir si l’environnement est nécessaire pour saisir la signification profonde d’une œuvre. Pari en quelque sorte gagné pour cette historienne berlinoise qui, prenant acte de l’absence d’étude « globale » sur la famille de Thomas Mann, s’emploie plus précisément à retracer les lignes de force féminines qui régirent le fonctionnement intime du « clan Mann ». Elles viennent ainsi éclairer d’une lumière relativement nouvelle les influences du quotidien et du domaine privé sur les élaborations intellectuelle et affective de l’auteur des « Buddenbrook ». Un exemple : la venue au monde « épouvantablement difficile » de son premier enfant lui inspirera cette lettre : « j’avais une idée de ce que sont la vie et la mort ; mais de la naissance, je ne savais rien du tout. A présent, je sais que c’est une affaire aussi profonde que les deux autres ».

Au centre donc de cette toile familiale, Katia Mann, l’épouse et la mère d’une impressionnante descendance et dont le mérite consista à maintenir « ensemble cette famille de huit personnes ». Mais aussi la plus discrète des « femmes » de Thomas Mann au point de dire : « dans cette famille, il doit y avoir au moins une personne qui n’écrit pas ». Puis, dans une relation dont la nature n’est pas étrangement sans rappeler celle de Sigmund Freud avec sa fille Anna, la fille « préférée » Erika. Rivale à peine dissimulée de sa mère, elle fut une actrice très engagée dans le travail de relation publique destinée à faire connaître outre-atlantique l’œuvre de son père. « La réputation de la famille dépendait très largement de l’activité publique de ces femmes » nous précise Hildegard Möller.

Autour d’un Thomas Mann « totemisé » à mesure que s’intensifie sa renommée internationale, la vie familiale des six enfants – trois filles et trois garçons – s’organise. Ou plutôt s’agite.

Mais l’auteur – et c’est l’un des grands intérêts de cet ouvrage – ne se laisse pas détourner par la figure emblématique de l’écrivain. Elle nous détaille ainsi les humeurs d’un homme en apparence « sans compassion » au moment du suicide de sa sœur, ou plus tard, réagissant à celui de son fils Klaus ravagé par la drogue, par une simple note dans son journal : « il n’aurait pas dû faire cela ». Un « père paraissant même aux enfants, trop distant et trop froid » et dont le « silence était plus impressionnant que l’annonce d’une punition ».

Tactique de la biographe qui, en contrepoint, parvient justement à nous montrer qu’en se réfugiant dans l’écriture, Thomas Mann s’assurait un moyen d’échapper à d’indescriptibles angoisses : celles, en premier lieu, de ses « penchants homosexuels » reconnus et maîtrisés avec plus de facilité dans ses nouvelles que dans le réel et dont l’un des épisodes lui servira de trame pour rédiger avec succès son « Mort à Venise ». Celles aussi dues aux perspectives, déstabilisantes pour un homme paresseusement rivé dans ses habitudes, d’un exil salvateur et prolongé aux Etats-Unis en raison de la montée du nazisme et de la mise à l’index de ses romans. Celles, enfin, liées à une « peur panique de la pauvreté » dont il souffrait, nous dit l’auteur, depuis sa jeunesse.

Pour plusieurs de ses enfants, le rapport d’identification à cet inaccessible monument humain de la littérature germanique fut évidemment celui de l’écriture. Erika projeta de réaliser une biographie sur son père mais ne réussit finalement qu’à publier un ouvrage sur la dernière année de sa vie. Monika s’essaya aux « souvenirs », conçus et en cours de rédaction lorsque Thomas Mann disparut, ne parvenant qu’à susciter la jalousie de sa sœur et la critique de sa mère. « Plongé dans l’œuvre paternelle », Michael, le fils musicien reparti vivre en Amérique, « finit par en être prisonnier » explique Hildegard Möller.

Un ouvrage dont l’intérêt concerne, en outre, la richesse culturelle d’une époque dont la famille Mann n’était pas le dernier des témoins avisés.

Hildegard Möller, « Thomas Mann, Une affaire de famille », Editions Tallandier, 2007, 384 p., 29 euros.

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