Rodolphe Meyer est un jeune Docteur en Sciences de l’Environnement et diplômé de l’école d’ingénieur ESPCI. En 2015, lors de la rédaction de sa thèse, il décide de créer une chaîne de vulgarisation scientifique sur la plateforme YouTube « Le Réveilleur ». Ses vidéos décryptent et analysent des sujets liés à l’environnement avec, pour objectif, de donner des clés de compréhension tout en luttant contre la désinformation.
– Très récemment, Emmanuel Macron a fait publier une lettre dans de nombreux médias européens. Dans celle-ci, il aborde notamment la question de l’environnement en proposant la création d’une Banque pour le climat. Que penses-tu de la mise en place d’une telle mesure ?
Oui car nous avons besoin d’investissements pour la transition écologique. C’est non seulement nécessaire mais également faisable politiquement car il y’a d’autres avantages politiques comme la création d’activités et d’emplois qui ne seront pas délocalisables ou la diminution de notre dépendance énergétique (notamment aux importations de ressources fossiles). Pour l’instant, on ne dirige pas l’argent créé ex-nihilo à l’échelle européenne. Il reste bloqué sur le marché secondaire et il arrive peu, ou pas, dans l’économie réelle, ce qui peut produire des bulles financières. Orienter cette création monétaire vers l’investissement climatique a du sens.
- Est-ce concrètement applicable pour un ensemble de pays aux priorités parfois très différentes ?
Il s’agirait d’un plan d’investissement économique à l’échelle européenne et c’est peut-être un des seuls sujets où tout le monde pourrait se mettre d’accord. Certes, il y a encore des climato-sceptiques sur internet et, parfois,dans le milieu politique, mais globalement un consensus existe. Ce sont des valeurs partagées qui peuvent former les bases d’une vision européenne.
A mon avis, le plus gros problème ce n’est pas de mettre tout le monde d’accord sur la nécessité d’un financement mais sur ce qui sera financé. Et ce qui sera financé sera sûrement différent d’un pays à l’autre. Le nucléaire, par exemple, fait polémique entre les pays européens. Mais, la France ne fait pas cavalier seul. On a beaucoup parlé, à l’automne, de la transition écologique réussie de la Suède qui a, comme nous, une électricité peu carbonée. Mais peu de gens ont conscience que le pays fonctionne majoritairement au nucléaire et à l’hydroélectricité qui couvrent 80% de la production électrique contre 10% pour l’éolien.
D’un point de vue environnemental, le nucléaire n’est pas absurde mais des tensions politiques subsistent à ce sujet. En France, lutter contre le changement climatique se fait en se concentrant sur la production de chaleur et la mobilité, et non sur la production électrique. Il faut fermer au plus tôt les quelques centrales au charbon qu’il nous reste mais, au-delà, la marge d’amélioration est limitée. Si demain on débloque un maximum d’argent pour la lutte contre le changement climatique, je ne crois pas qu’il soit optimum d’utiliser cet argent pour installer du photovoltaïque ou de l’éolien, le gain serait quasiment nul pour le climat. Cet argent pourrait être mieux utilisé pour la production de chaleur, le renforcement de l’isolation ou l’évolution de la mobilité. A l’inverse, un pays comme la Pologne, dont la production électrique repose largement sur les ressources fossiles, aurait tout intérêt à développer des moyens de production électrique renouvelables car cela viendrait directement réduire la consommation de ressources fossiles.
- Chaque pays dispose de conditions climatiques spécifiques, est-il judicieux de croire que seules les énergies renouvelables apporteront la solution ?
Toutes les énergies renouvelables ne se valent pas. Prenons l’hydroélectricité. C’est une source d’énergie extrêmement intéressante mais qui dépend de la topographie. Pour la Suisse et la Norvège cela fonctionne très bien mais pour des Etats comme la Belgique ou les Pays-Bas, avec peu de relief, c’est impossible. Le photovoltaïque est intéressant pour les pays du sud de l’Europe mais, dans le Nord, il fournit davantage d’électricité en été alors qu’on en aurait plus besoin en hiver. Son intérêt est limité. Sur le réseau électrique, à chaque instant, il est nécessaire que la distribution soit égale à la production. Si l’éolien est présent en masse mais pas le vent, il faut tout de même produire l’électricité pour les consommateurs. Cela oblige de palier l’intermittence de l’éolien et du solaire avec d’autres moyens de production. Ce qui explique que le gaz naturel accompagne souvent l’expansion de l’éolien. La possibilité d’avoir un mix électrique 100% renouvelable quand on n’a pas une bonne base d’hydroélectricité est un sujet qui fait débat chez les experts…
On oublie souvent qu’on utilise plus d’énergie pour la production de chaleur et la mobilité que pour les usages propres à l’électricité. Nous devons repenser l’isolation des bâtiments et l’agencement de nos villes. Les réseaux de trains seraient également à revoir. Les moyens renouvelables de production de chaleur (géothermie, pompe à chaleur, solaire thermique…) font partis des énergies renouvelables les plus intéressantes, y compris en France. Pourtant, elles sont souvent ignorées, à mon avis pour de mauvaises raisons. L’obsession pour l’électricité et les énergies renouvelables intermittentes nous font passer à côté des chantiers primordiaux pour la transition énergétique de notre pays.
Rodolphe Meyer
- Sur ta chaîne « Le Réveilleur », tu as réalisé plusieurs vidéos où tu déconstruis le discours de climato-sceptiques. Pourquoi ce choix ?
Ce qui m’a poussé à créer cette chaîne, au début, c’est la forte présence de désinformation sur internet, et, pour le climat, c’est encore plus marqué en français qu’en anglais. Face à ce discours, j’ai voulu faire de l’information comme une réaction. Je ne pense pas que ce soit deux vocations différentes. Les vidéos où je décortique les propos de climato sceptiques m’obligent à aller beaucoup plus loin dans la complexité. Au final, les gens en apprennent plus sur le climat en regardant ces vidéos. Analyser les arguments est une manière crédible d’enseigner, on pourrait le faire plus souvent à partir de ce genre de propos afin de démêler le vrai du faux.
Cela touche aussi à quelque-chose dont j’ai beaucoup manqué dans ma formation. J’ai fait une prépa et une grande école d’ingénieurs dont je suis sorti avec un BAC +6. J’ai ensuite fait un doctorat. J’ai accumulé de nombreuses connaissances scientifiques, mais je n’ai jamais eu de cours d’épistémologie (Qu’est-ce que la Science ?). Pendant ma scolarité, j’ai été mis face à une grande quantité de connaissances sans que l’on m’explique l’approche scientifique qui fait la force de ces connaissanes. On oublie trop souvent que la science commence par un aveu d’ignorance : on cherche parce qu’on ne sait pas. C’est ce qui touche aujourd’hui à l’esprit critique, et on voit de plus en plus de gens se poser des questions.
- Cette désinformation est donc un facteur qui t’a poussé à créer la chaîne « Le Réveilleur » ?
Oui. Globalement il y a un manque d’information sur ces questions mais aussi une mauvaise information et les deux sont complémentaires. Ma mission en tant qu’ingénieur et spécialiste est d’informer en montrant les éléments factuels mis à notre disposition. Pour que les sociétés évoluent, elles doivent se raconter des histoires, des récits. Il est important de veiller à ce que les récits qui l’emportent soient en adéquation avec les faits. Sinon, on risque de dépenser de l’énergie dans des actions inefficaces, voire contre-productives. On doit être attentif à la production d’une information exacte mais on doit aussi lutter contre les fausses informations.
- Te heurtes-tu à des commentaires climato-sceptiques sur ta chaîne ?
Il y a beaucoup de commentaires de climato-sceptiques, parfois très violents. D’expérience, les climato-sceptiques sont assez rarement convaincus par des arguments qu’ils ont vus. Si c’était le cas, il serait plus facile pour moi d’apporter une contrepartie. C’était ma position naïve au début de la chaîne : il suffit d’apporter les éléments scientifiques pour que tout le monde en accepte les conclusions.
Mais, beaucoup de climato-sceptiques ont une position a priori et vont ensuite chercher des éléments pour valider leur point de vue. On appelle cela le biais de confirmation. Je peux répondre à leurs arguments, mais ma réponse ne change rien à leur position. Les raisons qui poussent certains à nier l’origine anthropique du changement climatique sont multiples : économiques, politiques, religieuses, psychologiques… etc.
Parmi ceux qui produisent des discours climato-sceptiques, certains sont tellement subtils que je suspecte une manipulation volontaire, et vu les intérêts en jeu, ce ne serait pas surprenant. D’autres, au contraire, font des erreurs de débutant et sont simplement victimes de leur ignorance et de leurs biais cognitifs.
Rodolphe utilise souvent du matériel scientifique pour illustrer ses propos. Ici, il met en lumière la fragilité d’un argument climato-sceptique.
- Quelles sont les étapes de création d’une vidéo ?
Pour le format général, j’ai déjà une liste de thèmes. Contrairement à d’autres vidéastes je réalise une série de vidéos pour chaque sujet traité. J’essaye d’avoir une approche objective et synthétique, donc je commence par éplucher la littérature. J’utilise, par exemple, des rapports de référence comme le rapport du GIEC ou directement des articles scientifiques. Je dois mettre 70 heures à écrire un script, soit deux bonnes semaines de travail. Je fais relire ce script à des proches et des amis ingénieurs qui ont l’œil. J’essaye aussi d’identifier des personnes avec des compétences spécifiques sur un sujet précis, souvent des chercheurs ou des profs, pour le fond technique. Enfin, je filme, je monte et j’illustre, ce qui me prend une semaine de plus.
- Est-ce difficile de vulgariser un savoir scientifique ?
Certains diront que je ne vulgarise pas assez et c’est vrai que des formats plus courts existent sur Youtube. Tout dépend à qui tu t’adresses. Je pense que toute personne un minimum intéressé, en faisant un effort, peut suivre mes vidéos. Je reçois des messages de lycéens alors que ce n’est pas forcément le public visé. En fait, je produis le contenu que j’aurais aimé trouver. Beaucoup de personnes ont un niveau scientifique mais veulent comprendre l’état des lieux sur ces sujets qui ne sont pas toujours traités avec rigueur.
Ma capacité à synthétiser, à vulgariser ces sujets complexes est appréciée. Une partie de mon public finance directement mon travail sans autre contrepartie que la survie de ma chaîne. En tout cas, aujourd’hui, c’est là que je me sens utile, plus que dans un laboratoire de recherche.
- Comment intègres-tu le réchauffement climatique à ta vision du monde ?
Il va y avoir un tas d’impacts différents, dont certains sont déjà visibles. Le niveau des mers monte, les inondations sont plus nombreuses dans certains endroits, il y a plus d’incendies. En fait, nos sociétés sont gênées de deux côtés. À la fois dans l’approvisionnement des ressources, car notre mode de vie actuel repose sur l’extraction de ressources non renouvelables, et aussi du côté de la pollution. C’est un peu une cisaille ressource/pollution qui applique progressivement une pression sur la société sans forcément qu’on s’en rende compte. Une image me vient en tête, c’est celle d’une pastèque autour de laquelle on enroule des élastiques, au bout d’un certain nombre, la pastèque explose. C’est un peu comme ça que j’intègre ces problèmes à ma vision du monde. Ce sont des pressions supplémentaires sur la société. On doit dépenser de l’argent pour reconstruire ce qui a été détruit par une inondation ou pour irriguer à cause du manque d’eau. On va avoir de mauvaises récoltes et des endroits du monde commencent à se déstabiliser causant des déplacements de populations. Toutes ces pressions finissent par aboutir à un point de rupture.
Au fur et à mesure que nos systèmes se dégraderont, on aura de moins en moins de surplus et on devra choisir ce qu’on perd. Ça va réduire notre capacité à évoluer, à s’adapter et à investir.
On entend souvent ce discours disant qu’il faut sortir du capitalisme ou changer notre système politique. Mais le problème écologique c’est qu’on s’appuie sur des stocks de ressources non renouvelables pour produire des choses consommées par tous qui polluent. Si on modifie le système économique sans changer ce qu’on tire de la nature et ce qu’on y rejette, on ne résoudra pas notre problème. Il faut garder cela à l’esprit et n’accepter des évolutions que si elles permettent de réduire nos consommations de ressources, notamment fossiles, et nos émissions polluantes.
On me répond souvent que c’est dans la nature humaine d’accumuler, comme une espèce de fatalité. C’est une idée que j’ai du mal à accepter mais même si elle était vraie, je pense que nous avons largement dépassé le stade où nous étions réductible à notre nature. Cela fait des siècles que nous produisons une culture qui n’a rien à voir avec notre nature. Notre organisation politique, la propriété, l’argent, les nations, les religions… rien de tout cela n’est naturel, ce sont des constructions humaines, des fictions. L’évolution des sociétés ne se fait qu’à travers l’évolution de ces fictions, de la culture. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas produire une culture qui accepte l’existence de limites et s’en accomode. Au final, l’existence de limites me paraît une idée bien plus intuitive que la culture dominante d’aujourd’hui qui voudrait nous faire croire qu’une croissance infinie dans un monde fini est possible.
Je pense que le combat écologique se joue ici. Il faut faire évoluer les idées, la façon dont nos sociétés se conçoivent. C’est une guerre culturelle et il nous reste du travail si on veut la gagner..