L’Europe sociale a fini par se réveiller. Ce n’était pas gagné. « En Europe, les gouvernements sont plutôt de droite, de centre droit, voire nationalistes. Le Parlement européen est de centre droit. A la Commission, seuls huit commissaires sur 28 sont sociaux-démocrates… Pourtant, depuis deux ans, des progrès importants ont été réalisés », explique Philippe Pochet, directeur général de l’Institut syndical européen (ETUI) et auteur d’A la recherche de l’Europe sociale, à paraître en mai aux éditions PUF.
Le virage du détachement. Les pérégrinations de la directive sur le travail détaché de 1996 symbolisent cette longue hibernation suivie d’un dégel. Le fait que des travailleurs de l’Union européenne soient payés selon le salaire minimum et les horaires légaux en vigueur dans le pays d’accueil mais qu’ils puissent conserver la protection sociale de leur pays d’origine a en effet provoqué des abus. Les faibles cotisations sociales des pays d’Europe centrale et orientale (Peco) sont devenues un levier puissant de dumping social. Mais le 29 mai 2018, la révision de la directive sur le travail détaché adoptée par les eurodéputés a marqué un changement majeur. Désormais, la durée du détachement est limitée à une année (contre deux auparavant) et, à travail égal, un travailleur détaché devra percevoir la même rémunération – pas seulement le salaire minimum – qu’un travailleur local (salaire brut, primes, avantages des conventions collectives…). Quant au transport routier, qui avait été sorti de cette révision, il a fait l’objet, le 4 avril dernier, d’un vote au Parlement européen. Les Peco ont conservé quelques avantages compétitifs, mais des avancées sont à signaler pour les chauffeurs (repos à l’hôtel et non plus dans la cabine, retours plus fréquents dans le pays d’origine, salaire égal à travail égal…).
Au-delà de ces acquis spécifiques, la perspective d’un Smic européen est encore lointaine. Quant au texte qui a donné le jour, en novembre 2017, au « socle européen des droits sociaux », s’il est à saluer sur le plan des grands principes (salaire équitable, égalité femmes-hommes, droit à la protection de la santé, à la formation…), il demeure non contraignant. Sans faire de bruit cependant, plusieurs directives protègent et améliorent le quotidien des Européens (équilibre vie privée et vie professionnelle, congé paternité, troubles musculo-squelettiques…). D’autres sont en chantier, comme la révision de la directive sur les cancers professionnels. Ou en projet pour ce qui concerne les contrats de travail et les nouvelles formes d’emploi. L’Europe sociale ne galope pas, mais elle a repris sa marche.
Sandrine Foulon