Le 23ème long-métrage du réalisateur espagnol est en compétition au 72ème festival de Cannes. Sorti en salle le 17 mai dernier, Douleur et Gloire est une œuvre intimiste, empreinte d’une douce émotion. Telle une mignardise, elle se laisse déguster avec un plaisir gastronomique.
Salvador Mallo est un réalisateur éprouvé, rongé par des douleurs physiques et psychologiques qui l’empêchent de tourner à nouveau. Cloîtré dans son magnifique appartement à Madrid, le personnage renoue petit à petit avec des fragments d’un passé, tantôt incarné par des retrouvailles bien réelles, tantôt par des rêveries et des ballades mémorielles. Antonio Banderas, acteur fétiche d’Almodovar, interprète ce rôle avec beaucoup d’aisance, et peut-être était-il le seul à pouvoir se l’approprier.
Nous le savons depuis longtemps, Pedro Almodóvar évoque régulièrement des éléments de sa propre vie à l’écran. Ici, le spectateur entre dans la sphère intime du réalisateur, à commencer par son appartement, reproduction fidèle de celui d’Almodóvar dans la réalité. Les costumes, la coupe de cheveux, et même certains souvenirs sont animés et guidés par la présence du cinéaste.
La madeleine d’Almodóvar
Même si le film est décrit comme étant un drame, les codes habituels sont renversés dès l’introduction, où les maux de Salvador sont énumérés à la manière d’un exposé scientifique un peu loufoque. L’effet est très surprenant pour le spectateur, habitué à découvrir les failles d’un personnage au fur et à mesure de l’avancée narrative. Les souffrances sont données avec beaucoup de sincérité : mal de dos, migraines, anxiété torturent le réalisateur au quotidien, malgré sa volonté de fer pour les oublier.
L’oxymore bienveillante à la douleur s’incarne dans la gloire, passée et présente, et dans les individus croisant la route de Salvador. Alberto Crespo (Asier Etxieandia), l’ancien ami et acteur, retrouvé au début du film et qui fait entrer le cinéaste dans le monde addictif de la drogue, pour un temps seulement. Mercedes (Nora Navas) s’occupe de la vie publique de Salvador et s’inquiète de sa santé fragile. Jacinta (Penelope Cruz), la mère qui réapparait dans les souvenirs, celle qui conseille, élève et culpabilise son fils. Chaque personnage est le déclencheur, la déception et la trace indélébile. L’amant retrouvé, l’ami perdu, les femmes et l’inspiration. L’amour, aussi, toujours en lévitation quelque-part au milieu de l’appartement-musée, tout en couleurs et en tableaux.
La colorimétrie est un élément crucial du long-métrage. Le rouge, le vert, le jaune et le bleu sont les dominantes et se reflètent partout. Les costumes, les meubles, les murs. Ce choix donne un ton chaud, une teinte apaisante rarement contredite par quelques scènes où monte une légère agressivité. Visuellement, tout est bien dosé, comme dans une peinture ou dans la musique envoutante d’Alberto Iglesias.
Douleur et Gloire est un film d’une immense douceur. Il fait naître une émotion lente mais homogène dans toute sa durée, là où nous sommes habitués à des pics et des redescentes. L’émotion est monotone mais d’une simplicité si maîtrisée, qu’elle nous plonge dans un univers cotonneux qui n’en reste pas moins humain. Quand l’inspiration s’exprime à nouveau par la « naissance du désir » chez Salvador, le spectateur peut enfin sortir de sa longue apnée. Sûrement une des plus belles réalisations de Pedro Almodóvar