La France vit au rythme des grèves depuis dix jours. Les médias ne parlent que de ça. Enfin presque tous les médias. Mais que dit-on ? Qu’entend-on ? Le trafic routier. Des envoyés spéciaux aux quatre coins de Paris ou de l’hexagone expliquent qu’ils voient sur leur écran de PC routier des centaines de kilomètres de bouchon. Les métaphores succèdent aux métaphores : « serpents lumineux », « farandoles de véhicules », « mur coloré de voitures »… On déclame un listing des trains à l’heure, en retard, en prévision de retard voire même en prévision d’avance. On interroge les Français. Que pensent-ils de la grève ? Comprennent-ils le mouvement ? Pourquoi ? Sont-ils syndiqués ? etc… Ces questions se posent très peu. Ce qui importe c’est d’être à l’intérieur de leur galère, de connaître l’expression de leur ras-le-bol ou leur ingénuité à contourner les gènes. Comme si tout ce qui est en périphérie de la grève étaient des sujets beaucoup plus importants : mercredi les sabotages, mardi les huées sur François Chérèque.
Troisième tour social.
Les observateurs scrutent les tours de passe-passe du gouvernement. Après six mois de traversées calmes avec des grognes discrètes sur les lois estivales ou la rentrée scolaire, des turbulences autour de Rachida Dati et les tests ADN, Nicolas Sarkozy et son équipe sont confrontés à leurs premières grèves d’envergure d’abord sur les régimes spéciaux de retraites puis sur le pouvoir d’achat, l’emploi et les salaires des fonctionnaires. Le Président de la République laisse (in)volontairement François Fillon, Xavier Bertrand, Eric Woerth et André Santini en première ligne. La discrétion présidentielle intrigue les journalistes habitués à une certaine omniprésence. A chaque interview d’un des acteurs gouvernementaux, toujours la même question, comme un rituel : « quand est-ce que Nicolas Sarkozy interviendra ? » Réponse normande : « quand il le jugera nécessaire ». Un jeu ? Ça y ressemble. Les médias lui reprochaient ses interventions répétées. Nicolas Sarkozy se tait.
Il se tait et il est appelé à s’exprimer. Une cour de récréation où on joue à cache-cache. Un jeu de dupe où les perdants ne seront jamais ceux qui jouent mais les spectateurs qui n’ont pas l’autorisation de pénétrer sur le terrain. L’opposition n’arrive pas à trouver les bons mots pour focaliser l’attention. Manuel Valls tente. Tout en accusant « le président de la République et le gouvernement d’avoir laissé pourrir la situation et d’avoir cherché une forme de victoire politique sur les syndicats pour masquer ce qui est l’échec de sa politique économique », il a stigmatisé les erreurs de son parti : « Il aurait fallu dire plus clairement que nous sommes favorables à l’harmonisation des régimes de retraite et donc à l’alignement des régimes spéciaux sur le régime général de la Fonction publique […]nous aurions dû être plus clairs, plus courageux en 2003 au moment de la réforme Fillon. Nous aurions dû soutenir les initiatives de la CFDT et de François Chérèque ». Ce sont des mots qui attirent les micros. François Hollande avait lui aussi esquissé une tentative mardi : « Nicolas Sarkozy voulait être le président du pouvoir d’achat : Président, il l’est depuis six mois, mais le pouvoir d’achat, lui, n’est toujours pas au rendez-vous ». Les leaders syndicaux, eux, paraissent suivre la base du mouvement. Difficile avec une opposition se cherchant et des syndicats brouillons de parler d’un troisième tour social. Les médias, n’ayant pas d’autres interlocuteurs que le gouvernement, ont fait dévier les reportages sur les grèves vers des sujets périphériques. Ils ont souvent contribué (in)volontairement à rendre le mouvement impopulaire. Le temps des négociations est venu. Les bonnes questions vont-elles être posées ? Vont-elles amener tous les intervenants et les auditeurs à réfléchir sur les solutions à apporter aux différentes revendications sur les régimes spéciaux, le pouvoir d’achat et les salaires des fonctionnaires ? A voir, à écouter, à réfléchir…