C’est un de ces soirs où on se dit que tout est encore possible. Un de ces soirs où il fait bon y croire. Ils n’ont pas d’âge, pas de couleur. Ils sont venus avec leurs enfants, et avec leurs parents. Ceux qui vivent ici, et ceux qui ont fait le déplacement depuis d’autres quartiers. Ceux qui ont le rythme dans la peau, parce que c’est celui avec lequel ils ont grandi, et ceux qui retrouvent le rythme quelque part au fond d’eux, parce qu’ils ont appris à l’aimer. Les uns et les autres, debout côte à côte, parce que la fête est universelle.
Première partie, et le théâtre est déjà plein à craquer. Sur la scène ce soir, la môme est un petit beur. Un môme emporté et porté par la foule, qui met des mots arabes sur des notes d’accordéon. Un môme dont le sourire s’élargit quand le public se lève pour danser avec lui. Il a une grande voix, chaude et profonde sur laquelle on verrait onduler des andalouses. C’est Tarik, ce soir, qui joue du piano debout, et assure la première partie de l’Orchestre National de Barbès. Tarik, qui est venu avec Guillaume son batteur aux airs de rockeur, Abdel et ses percussions, Michel pour la guitare électrique, et Fayçal au djembé.Tarik et son raï latino. Le public est conquis, et quand le jeune artiste quitte la scène, l’impatience est palpable.
Heureusement l’Orchestre National de Barbès ne se fait pas attendre. Onze musicien investissent la scène dans le noir, et s’élève alors un chant étrange comme un prèlude au concert. Il y a dans cette voix, ce quelque chose que l’on sent aussi dans la polyphonie corse ou dans les chants ancestraux des indiens d’Amérique. Cette complainte forte et appaisante qui nous parle d’une terre. Dans un solo de flûte tremblotante, une voix puissante réveille le petit bout de désert qui dort en nous. Et puis tout s’emballe. Le rythme des rues reprends le dessus. Plus rapide, plus coloré. 3 guitares, 2 synthés, 1 batterie, des djembés, un saxophone, un tambourin… L’Orchestre National de Barbès joue en s’appuyant sur le choeur de la salle qu’il fait chanter en rythme. Prouesse, qui n’enlève rien à la qualité musicale. Ils jonglent avec les rythmes et les univers, carnavalesque, oriental, aux accents de rock et de jazz. Mais toujours populaire, toujours festif. Ils jouent dans le public, dansent avec lui, chantent avec les choeurs et les corps. Ils sont venus, comme leur public, pour faire la fête, dans le même esprit, avec le même enthousiasme, en amis.
On dit qu’ils sont onze des meilleurs musiciens de Paris. Connaissez vous Barbès ? Un long boulevard qui descend sur les quais de scène. Sous les arbres, le long des immeubles anciens typiquement parisien, sous le ciel gris-capitale, les femmes portent des boubous aux couleurs vives, et l’on étale sa marchandise sur des tapis de sol. Atour de soi, soudain, on parle toutes les langues. Paris est dépaysant, Barbès l’est encore plus. « Être de Barbès c’est être français, et puis algerien, congolais, vietnamien. Mais c’est sutout, être universel ! », parole de musicien de l’ONB.