« Nous sommes des journalistes français », lance l’un des membres du petit groupe à un jeune fusilier marin qui les pointe résolument avec son arme automatique. Argument loin d’être décisif. « Nous demandons à voir votre autorité », ajoute un autre. Le jeune soldat ne baisse pas la garde mais se saisit de son talkie-walkie qui crachote des paroles incompréhensibles. Quelques instants plus tard, le Consul de France, accompagné du Commandant en second d’une Frégate, apparaissent et prennent en charge les reporters français et étrangers.
Scène presque insolite dans la base navale de Toulon où se déroulait le 12 mars dernier, à l’issue de trois semaines de MECO (Mise En Condition Opérationnelle), un exercice simulant une opération d’évacuation de ressortissants français coincés dans un pays lointain en proie à une guerre civile. Scénario bien ficelé par l’équipe de l’Amiral Commandant la Force d’Action Navale (ALFAN) qui avait imaginé un Etat « Safran » avec lequel la France possède des accords militaires. Etat où de violentes insurrections encouragées par un pays voisin fait vaciller le pouvoir politique en place, menace la sécurité des Français installés et conduit le Premier Ministre à décider, depuis Paris, l’évacuation de tous les ressortissants européens qui le souhaitent. Une fiction pas très éloignée des réalités géopolitiques mondiales.
Depuis l’opération « Baliste » de juillet 2006 au Liban destinée à évacuer les ressortissants français et européens menacés par la guerre entre le Hezbollah et Israël, la Marine nationale intensifie ses réflexions sur les moyens à mettre en oeuvre afin de combiner l’indispensable sécurité opérationnelle d’un dispositif d’évacuation et la nécessaire couverture médiatique des événements réclamée par la presse française et étrangère. Souci louable de transparence, prise en compte du besoin d’informer et intérêt de valoriser son action, autant d’éléments qui ne font pas forcément bon ménage avec les réalités de terrain lors d’un conflit : l’accueil, le filtrage et l’embarquement de ressortissants paniqués, blessés ou en état de choc qui fuient des combats rapprochés avec les forces rebelles lesquelles pilonnent de temps à autre le port où sont amarrés les navires de combat. Réflexion d’autant plus urgente pour la Marine nationale que se multiplient dans le monde, foyers de tension ethnique ou religieuse, crises de souveraineté et gesticulations militaires susceptibles de mettre en péril un nombre toujours en hausse d’expatriés et de touristes présents sur ces zones. Le tout ponctué par un rythme soutenu d’une information planétaire placée sous l’œil vigilant des reporters, des agences de presse et des caméras de télévision.
D’où l’intérêt de cette simulation visant à confronter les différents échelons d’une hiérarchie militaire aux exigences forcément croissantes et dérangeantes d’une équipe internationale de journalistes : celle-ci manifeste ainsi le souhait, peu négociable eu égard aux impératifs et au « timing » de l’information, de se rendre dans la zone sécurisée, de rencontrer et d’interviewer les rescapés, d’observer les conditions de filtrage et d’embarquement des ressortissants, d’interroger les officiers sur la dimension politique de l’intervention française… tout en recherchant simultanément le contact avec les rebelles. Une presse toujours prompte à suspecter un ratage pour chaque restriction imposée à ses déplacements. Autant de grains de sable à même de venir enrayer une parfaite mécanique opérationnelle largement démontrée par la Marine nationale dans cet exercice. Laquelle avait mobilisé pour l’occasion la frégate furtive « Surcouf », ainsi que l’Aviso « E.V. Jacoubet ».
Même républicaine, la « Royale » assure une formation de « grands communicants » à l’image de ceux qui existent déjà dans l’Armée de terre et ce, avec une ressource en personnel nettement plus réduite. Mais la question posée par cette simulation était différente : confronté à une situation d’urgence et à l’inattendu, un équipage d’une centaine de marins doit être capable de gérer directement et sans soutien extérieur la communication sur le lieu de crise. Compte tenu de la nouvelle génération d’officiers rencontrés lors du point de presse, lesquels, en dépit des multiples tentatives, n’ont à aucun moment été embarrassés par les questions posées, la Marine ne devrait guère éprouver de difficultés pour y parvenir.