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22 novembre 2024

Jean-Luc Vannier à Nice Premium : « L’avenir au Liban reste malheureusement gros de menaces ».

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Nice-Premium : Alors Jean-Luc, tu as repris tes cours à la Fac ?

Jean-Luc Vannier : Oui ! Le chef du département de l’IUT Henri Alexis a eu l’élégance de bien vouloir reporter d’une semaine les heures que j’avais manquées et mes étudiants ont été particulièrement compréhensifs. Mes patients en psychanalyse également.

NP : Quelle était l’ambiance à Beyrouth les jours du conflit ? Tu as eu peur ?

JLV : Je vais peut-être surprendre en répondant par la négative. J’avais déjà connu cette atmosphère « particulière » au Kurdistan iraquien à la fin des années 90. La capitale régionale Erbil était le lieu d’attentats commis par les services de Saddam Hussein qui voyaient d’un mauvais œil la venue d’étrangers et d’observateurs dans cette zone. Pour Beyrouth, on peut parler d’une forme d’appréhension mais certainement pas de peur et il me semble que les Libanais autour de moi partageaient ce sentiment, peut-être hélas, par habitude. Même lorsque les tirs d’armes automatiques ont résonné deux à trois nuits consécutives à proximité de mon immeuble, je dois reconnaître qu’étrangement, je n’ai pas ressenti d’angoisse particulière. Peut-être me suis-je moi aussi « libanisé » avec le temps…

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NP : Tu veux dire que la vie était normale pendant ces journées ?

JLV : Le plus étonnant était effectivement ce contraste entre l’activité relativement soutenue de la journée dans les lieux publics, de la place Sassine au centre commercial ABC d’Achrafiyé, et le silence de mort qui s’abattait sur cette zone dès le coucher du soleil. Tous les magasins fermaient. Même le très couru snack « Zaartar w Zeit » de Sodeco ouvert sans interruption 24h/24h depuis plusieurs années, avait baissé le rideau.

NP : Il y avait des combats dans ton quartier ?

JLV : Les combats avaient lieu juste au-delà de mon immeuble. C’est en quelque sorte une tradition car la rue Monnot faisait déjà office de ligne de démarcation pendant la guerre civile. Le « rectangle d’or » d’Achrafiyé, nom donné en raison des quatre avenues qui délimitent le cœur du quartier chrétien en lui donnant cette allure géométrique, a vu se déployer – très progressivement il est vrai – la présence de l’armée puis, lorsque le conflit est entré dans une phase paroxystique, arriver en pleine nuit deux camions des Forces spéciales de la Police. Et tout ce petit monde a disparu le jour même de l’annonce des pourparlers de Doha et de la réouverture de l’aéroport.

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NP : Tu étais donc protégé ?

JLV : Les équipements visibles de ces détachements étaient plus symboliques que réellement dissuasifs. Et ils n’auraient pas été de taille si les miliciens du Hezbollah avaient voulu entrer dans cette zone Est de Beyrouth. Au pied de mon immeuble, je me suis entretenu avec quelques soldats, tous des musulmans sunnites de Tripoli. Ils m’expliquaient que le Commandement militaire les avait sélectionnés pour garder cette partie de la ville en raison de leur religion et que les soldats chiites étaient, quant à eux, mis directement au contact des éléments du Hezbollah, peut-être pour parvenir à temporiser si la tension croissait sur la ligne de front. Ce qui est quand même un signe du « confessionnalisme de l’armée ». Je note d’ailleurs que pendant ces événements, plusieurs officiers sunnites et chrétiens ont présenté -puis retiré- leurs démissions pour protester contre ce qu’ils appelaient l’inaction sélective de cette armée. Un colonel, membre du 2ème bureau militaire et ancien aide de camp du Premier Ministre Fouad Siniora, en faisait d’ailleurs partie.

NP : Quel est ton sentiment sur ce qui s’est passé à Beyrouth et au Liban pendant ces quelques jours où tu y étais bloqué ?

jpg_liban08.7red.jpgJLV : Il me semble que contrairement à ce qu’affirment certains responsables de la diplomatie française, c’est le Hezbollah qui, à terme, sort perdant de ce conflit. Lequel, faut-il le préciser, s’est déclenché pour une histoire de gros sous. Le décret du Premier ministre qui a suscité l’ire du Parti de Dieu visait non pas son réseau militaire destiné à ce qu’il appelle la « résistance » mais un réseau de téléphonie civile indépendant de l’Etat. Un système qui rapporte annuellement une cinquantaine de millions de dollars à la milice en dehors des circuits officiels. Quant au contrôle sécuritaire de l’aéroport par un général proche du Hezbollah, c’était un fait connu depuis longtemps. Si l’Etat libanais a dû revenir sur ces deux décisions, la manière dont s’y est prise la milice chiite pour y parvenir, a créé un malaise profond et durable dans la société libanaise, plus divisée que jamais. Le Parti de Dieu a perdu le peu qu’il lui restait de son vernis de « libanité ». Utiliser ses armes contre les Libanais restera un traumatisme gravé dans l’histoire du pays.

NP : C’est quand même par les armes que le Hezbollah a eu finalement gain de cause ?

JLV : En apparence et à très court terme oui. Mais deux faits majeurs sont intervenus. Les milices sunnites de « Secure plus », sur pied depuis très peu de temps et auxquelles le quotidien « Le Monde » s’était intéressé, ont été totalement dépassées par les combattants du Hezbollah. La conséquence est un sentiment d’humiliation de la communauté sunnite et un réarmement, largement confirmé par les FSI libanais, des radicaux salafistes présents dans le nord du pays, notamment à Tripoli. L’autre élément est la mise en déroute des combattants du Hezbollah par des miliciens druzes du Chouf, zone pourtant pilonnée pendant des heures par leurs batteries. Une cinquantaine de combattants de la milice chiite s’est retrouvée encerclée par des guerriers druzes. Il a fallu que le président du Parlement Nabih Berri appelle à trois heures du matin leur chef Walid Jumblat pour éviter le massacre. Les Druzes affirment d’ailleurs avoir fait prisonniers des combattants iraniens qui encadraient les miliciens libanais et les avoir rendus dans un « piteux état », un message, selon eux, à « destination de Téhéran ». Il semble que pour la première fois, le Hezbollah ait connu lui aussi une forme de « résistance ». Enfin, et non des moindres, on ne peut pas interpréter ce qui s’est passé au Liban sans tenir compte des évolutions régionales : les pourparlers de paix engagés entre Israël et la Syrie, les dispositions de l’Etat hébreu à discuter d’une trêve avec le Hamas, ont pu pousser le Hezbollah à verrouiller quelques acquis politiques avant d’être contraints et forcés à ne plus recourir à la violence armée contre le voisin du sud. Du moins tant que durent les négociations. Il n’est pas interdit, dans ce contexte, de mieux comprendre la sensibilité de la question financière liée au réseau téléphonique dont les profits seraient susceptibles de se substituer partiellement aux subventions iraniennes si les actions de terrain devaient ralentir. Si ce raisonnement était avéré, il constituerait une relative bonne nouvelle pour le Liban. En fin de compte, si perdant il y a, c’est surtout le Général Michel Aoun, lâché par le Hezbollah dans sa quête de la présidence.

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NP : L’accord signé à Doha met-il enfin un terme à ce conflit ?

JLV : Il faut bien sûr se réjouir de cet accord. Mais celui-ci demeure une solution provisoire. Et qui ne règle en rien les questions fondamentales. L’accord de Doha porte en lui-même les germes de nombreuses contradictions. Deux exemples me viennent à l’esprit. L’article 2 demande aux parties contractantes de ne pas « entraver l’action du Gouvernement » alors que la base de cet accord repose explicitement sur la « minorité de blocage » accordée à l’opposition. Autrement dit, la première mesure sensible, concernant par exemple le Tribunal international chargé de juger les assassins de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, ou toute question diplomatique, même finalement toute orientation qui engagerait résolument le pays dans une voie qui ne plairait pas à l’opposition, pourrait être bloquée et provoquer à nouveau de vives et dangereuses tensions. Un deuxième point concerne l’article 4 selon lequel les parties s’engagent à « s’abstenir de recourir aux armes ou à la violence afin de réaliser des acquis politiques ». L’article vise expressément l’armement du Hezbollah, épineuse question loin d’être soldée. Le représentant du Hezbollah à Doha a d’ailleurs déclaré à la sortie de la réunion que sa « formation ne se sentait pas tenue par cette obligation ». Lorsqu’on interroge un haut responsable du Hezbollah sur sa définition de l’entente nationale au Liban, sa réponse consiste à expliquer que « personne ne doit être contre nous ». C’est dire si l’avenir reste malheureusement gros de menaces.

NP : L’élection d’un nouveau Président consensuel ne peut-elle pas fournir un cadre propice à une amélioration de la situation ?

JLV : Tout va dépendre de la manière dont le Général Michel Sleiman va concevoir son mandat, prioritairement consacré à empêcher la reproduction des récentes violences. Il ne voudra, et ne pourra sans doute pas, entrer en conflit frontal avec le Hezbollah sur plusieurs points comme celui du recouvrement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire même si cette orientation figure explicitement dans le document de compromis. Il devra donner alternativement des gages aux uns et aux autres, localement et internationalement : ce qui signifie que les grandes décisions destinées à choisir une orientation globale – choix de société, diplomatie régionale, liens avec Israël, extradition de personnes susceptibles d’être inculpées dans le dossier Hariri – seront remises à plus tard. Il y aura bien quelques nominations d’ambassadeurs, de hauts fonctionnaires et quelques mesures économiques. Peut-être même que le Directeur de la Sûreté générale changera de titulaire pour revenir à un chrétien en bons termes avec la formation chiite. Si la ligue arabe, et en particulier l’Emir du Qatar, maintiennent leurs pressions, d’autres sujets pourraient quand même trouver une issue. Les discussions sur la composition du prochain Cabinet seront de ce point de vue très éclairantes pour la suite.

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NP : Faut-il être optimiste ?

JLV : Les Libanais le sont par nature. Il n’y a qu’à regarder le retour massif et exubérant de la vie festive au centre-ville quelques heures à peine après la fin de son occupation par la milice chiite. Leur irrépressible pulsion de vie force l’admiration. Souhaitons qu’aussi bien à Beyrouth que dans les « villages », la prochaine saison touristique, élément essentiel pour le budget et signe fort pour la bonne santé politique du pays, se déroule sans entrave. A court terme, les Libanais devraient connaître un répit. Ils méritent finalement un autre destin que celui qui consiste à attendre et à craindre la prochaine crise.

NP : tu repars cet été à Beyrouth ?

JLV : La question ne se pose même pas !

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