Lorsqu’il s’agit de fustiger les extrémismes politiques et de condamner les fondamentalismes religieux à l’étranger, nos responsables au pouvoir – tout comme ceux dans l’opposition – ne sont jamais avares de bons conseils. Tout commence, expliquent-ils généralement, par l’éducation, censée prodiguer les bases d’un comportement « civilisé » ultérieur. D’où leur souhait, légitime en pure théorie, de voir se développer dans ces pays un enseignement reposant sur les principes de la tolérance et sur la prise en compte, par le système éducatif, des idéaux de l’humanisme.
Tout ce petit monde ferait pourtant bien de balayer devant sa porte. En témoigne la tempête politique déclenchée par la récente décision du Tribunal de Lille d’annuler un mariage en raison d’une « erreur sur les qualités essentielles » de l’épouse qui avait menti sur sa virginité. On peut comprendre, du Médiateur de la République au Conseiller juridique du Président, le tollé suscité par ce jugement. Mais on ne peut s’empêcher d’en apprécier la nature au regard de nouvelles dispositions législatives introduites beaucoup plus discrètement par le Parlement le 15 mai dernier. Avec pour prétexte – largement contesté par de nombreux Députés et Sénateurs – des mesures anti-discrimination imposées par des directives européennes : celles-ci rendent désormais possible, l’organisation d’un enseignement séparé pour les garçons et les filles à l’école.
Même si elle s’appuie juridiquement sur l’article 180 du Code Civil, la sentence du TGI de Lille semble finalement s’inspirer – interpréter ? – de l’esprit du nouvel arsenal législatif autorisant des enseignements « par regroupements d’élèves en fonction de leur sexe ». Au fond, pour défendre cette décision judiciaire, la Ministre de la Justice Rachida Dati développe le même argument que son collègue de l’Education nationale pour justifier la nouvelle loi sur la fin de la mixité scolaire, pourtant obligatoire depuis 1975. Dans des « circonstances exceptionnelles », explique Xavier Darcos, « des professeurs et des élèves eux-mêmes souhaitent que ces séparations puissent exister… à la piscine ou dans certains établissements ». La Garde des Sceaux ne dit pas autre chose lorsqu’elle affirme que la « justice est là pour défendre le plus vulnérable » et que «le fait d’annuler un mariage est aussi un moyen de protéger la personne qui souhaite peut-être s’en défaire ». On se souvient des propositions controversées du sociologue Michel Fize visant, il y a quelques années, à revenir sur la mixité à l’école pour palier aux situations d’urgence des violences sexuelles entre garçons et filles.
Certes, les violences contre les femmes dans les pays développés sont malheureusement en hausse. Certes encore, les déclarations d’agressions sexuelles ont doublé entre 2000 et 2006 selon une étude de l’Institut démographique qui constate néanmoins que « la parole se libère ». Une parole que le Gouvernement risque à nouveau de bâillonner s’il refuse d’intervenir dans le bon sens en confondant, une fois de plus, la cause profonde du problème et ses manifestations extérieures. La peur ne doit pas conduire à se réfugier dans le déni.
Car, de la fin du principe de mixité à l’école à l’obligation de la virginité au mariage, c’est tout l’enjeu de la « rencontre avec autrui » qui est posé : comment concevoir entre adultes, une relation réussie et harmonieuse si dès l’école primaire et secondaire, on sépare, ostracise et compartimente l’autre ? Dans ce débat, et au-delà du respect pour des principes religieux, le tabou de la virginité demeure une vaste hypocrisie. Tout clinicien sérieux confirmera l’existence de manœuvres sexuelles substitutives et un nombre des hymenoplasties en constante augmentation dans de nombreux pays, y compris occidentaux. Le film libanais de Nadine Labaki sélectionné à Cannes en 2007 « Caramel » illustre bien l’idée d’une virginité qui ne compte pas parmi les obstacles les plus essentiels sur la voie d’une union. Remettre en cause la mixité scolaire revient par ailleurs à aggraver les codifications sociales, ethniques et religieuses, déjà fort complexes dans la psyché, pour construire du lien avec un alter ego. Modifier autoritairement la jurisprudence sans corriger la philosophie qui l’encourage à l’origine ne servira donc à rien.