En sifflant une nouvelle fois la Marseillaise lors d’un match international, certains des supporters ne s’attendaient probablement pas à une réponse aussi spécifiquement politique. Peu importe que celle-ci ait été ou non préméditée : gouverner n’est-il pas prévoir ? Toujours est-il que la décision du Président de la République d’exiger désormais l’interruption de la rencontre en cas de récidive, a frappé les esprits. A la mesure des enjeux : le monde du football est devenu vulnérable à des risques qui le dépassent et qui inquiètent autorités comme dirigeants sportifs et associatifs.
Après une synthèse de l’ancienne Direction Centrale des Renseignements Généraux, une étude de la LICRA confirmait dès 2005 le développement du racisme dans ce sport de même qu’une croissance du communautarisme dans les équipes. Aux deux premiers constats s’ajoutaient des indices troublants sur un phénomène d’infiltration du foot amateur par des mouvements intégristes islamiques. Ce communautarisme se double aujourd’hui d’une flambée de violence dénoncée à la fois par de grands quotidiens mais aussi, mezza voce, par les arbitres. Sur les 28 000 arbitres recensés en France, nombreux sont ceux « qui n’osent pas porter plainte par peur des représailles » selon un responsable de l’Union Nationale des Arbitres Français (UNAF). Starisation individuelle et outrancière des joueurs au risque d’un « ego » que les blasons des clubs ne parviennent plus à transcender ou directeurs sportifs qui n’osent plus s’offusquer de l’ignorance de l’hymne national par la majorité d’une équipe : il appert que le brassage des footballeurs par une politique accrue et à dominante financière des transferts, a été de nature à fragiliser, voire dissoudre dans certains cas, la dimension identitaire des clubs. L’arrivée d’un nouveau joueur s’opère souvent à grand renfort de publicité mettant en exergue sa personnalité, son parcours, ses exploits. Sa venue s’accompagne – les autres membres de l’équipe ne peuvent l’ignorer – d’enjeux financiers considérables et de défis de carrière sous-jacents. Dans ces conditions, le nouvel arrivant ne peut, sur le moment, que susciter méfiance et crainte de la part de ses collègues. La stabilité et la solidité d’une fratrie exigent pourtant la durée pour se reconnaître et exister dans un enjeu commun.
Le pouvoir politique a donc tranché. Lassé des éternelles jérémiades des professionnels qui, toujours prêts à condamner en parole mais plus rarement à sanctionner dans les actes, ne savent pas comment dépasser leurs seuls intérêts financiers, l’Elysée a décidé de ne pas s’arrêter aux arguments techniques avancés par la Fédération – une manoeuvre éminemment française pour bloquer toute décision politique – pour justifier la poursuite du jeu : les terrains de foot ne bénéficient pas encore d’un statut d’extraterritorialité comme les ambassades. Quant à l’idée de devoir solliciter l’arbitre, c’est oublier un vieil adage du Droit administratif français : lorsque la maison brûle, on ne va pas demander au maire l’autorisation d’y envoyer les pompiers. Loin d’invalider la décision présidentielle, certains des arguments avancés pour s’y opposer ne font finalement qu’ajouter à la sombre ambiance entourant un football dont Frédéric Thiriez proclamait déjà la « fin » en janvier 2003. L’inquiétude manifeste des commerçants interrogés par la presse en cas d’interruption imprévue d’un match en dit long sur la dégradation de l’environnement humain des terrains de sport, en dépit d’une tradition les consacrant comme d’inviolables sanctuaires contre la violence. Quant aux propositions de certains leaders socialistes de « supprimer l’hymne national en début de match » afin de ne pas exciter les foules, il rappelle la curieuse idée de mettre fin à la mixité scolaire…pour parer aux brutalités exercées par les garçons à l’encontre des filles.
Dans ce contexte, on ne pourra que saluer la double décision, aussi courageuse que financièrement conséquente, récemment prise en Allemagne : celle, en premier lieu, de la Fédération allemande de cyclisme de ne pas organiser le Tour outre-Rhin ainsi que celle des deux chaînes de télévision ARD et ZDF de ne pas retransmettre cette année les images de la Grande Boucle. Les deux en raison des problèmes persistants de dopage.
Une décision sur laquelle les professionnels du football ne manqueront pas de méditer. Le très libéral psychanalyste des enfants et des adolescents D.W. Winnicott l’expliquait à sa manière : l’acte délinquant espère rencontrer une résistance de l’environnement.