« Lehaïm », expression couramment employée en hébreu pour porter un toast, signifie en fait « aux vies ». C’est en référence à cette « pluralité d’existences » qu’Alain Belhassen, Président du CRIF Sud-Est (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) a présenté, le 2 décembre dernier, plusieurs conférences organisées au casino de Beaulieu. Tout en rappelant que les « Juifs sont une famille de la Nation française et non une communauté », et malgré « sa furieuse envie » de mentionner la longue liste des menaces qui continuent de peser sur l’Etat hébreu, Alain Belhassen a expliqué que « célébrer les 60 ans d’existence de l’Etat d’Israël n’impliquait nullement de se concentrer sur les questions politiques » mais au contraire d’initier une nouvelle approche « éloignée des clichés exclusivement sécuritaires ». La soirée proposait ainsi trois conférences destinées à montrer comment et combien « l’innovation » avait constitué pour Israël le principal moteur de sa « survie » dans un environnement hostile. Trois experts sont intervenus pour évoquer les « prouesses » et les « compétences » de la recherche et du développement dans le domaine médical, dans celui de l’agronomie et de l’hydrologie, et, pour finir, dans celui des nouvelles technologies. Trois spécialistes dont le public aura pu se féliciter des impressionnantes connaissances doublées de louables qualités pédagogiques pour des sujets techniques pas toujours aisés à appréhender : une pédagogie qui constitue déjà un révélateur sur l’origine des succès des entreprises israéliennes.
Premier des conférenciers, le professeur Daniel Benchimol, qui se partage, dans un emploi du temps qu’on devine fort chargé, entre le CHU et de multiples institutions politiques niçoises, mentionne le fait qu’Israël est « le « pays qui détient le nombre record de diplômés universitaires par rapport au nombre d’habitants ». Dans le domaine médical, explique-t-il, la rencontre franco-israélienne a été mutuellement profitable : excellence du système de santé de l’Hexagone -fait reconnu par l’ONU précise l’intéressé- contre excellence de la recherche médicale en Israël. Certes, le Doyen de la Faculté de médecine de Nice a déploré le manque de « relations institutionnelles » et ce, en dépit de la position de « leader mondial » de l’Etat hébreu dans le secteur de l’imagerie médicale et des avancées considérables des recherches de ce pays dans le domaine des cellules souches embryonnaires et dans celui de la simulation médicale. Des « raisons politiques » et « des obstacles linguistiques » ont souvent entravé, selon lui, le développement de ces relations. Soulignant la nouvelle dynamique en cours, il a rappelé que lui-même avait été à l’origine d’une « politique de la Faculté de médecine et du CHU très volontariste » aboutissant notamment à la signature de deux accords avec, respectivement, l’Université hébraïque de Jérusalem et l’hôpital Hadassah.
D’une tonalité plus environnementale, l’intervention de Michaël Bar Zvi, Délégué général d’une ONG régionale sur le développement durable (KKL), a porté sur les problèmes de l’hydrologie. Deux tiers de l’Etat hébreu sont désertiques mais l’innovation, la recherche et la persévérance ont eu, là aussi, raison des éléments naturels : plus de 200 millions d’arbres, précise le responsable, ont été plantés dans la forêt de Yatir, située au nord du Néguev désertique grâce aux travaux de la KKL, seule ONG reconnue par les Nations Unies dans la région pour les questions d’écologie et de développement durable. « Amener l’eau, éviter qu’elle ne s’évapore, créer les usines les plus modernes de désalinisation », notamment en partenariat avec l’entreprise française Véolia, ont ainsi permis de résoudre nombre de problèmes agricoles, d’exporter des fleurs en toute saison et, finalement, d’améliorer globalement l’environnement. Une démarche qui ne souffre aucun répit puisque cette organisation projette de semer 7 autres millions d’arbres dans les 10 prochaines années, alors que chaque individu devrait mettre en terre 200 arbres au cours de son existence pour compenser ses émissions de CO2. Autant d’initiatives propices à qualité de la vie comme celle, annoncée non sans humour par Michaël Bar Zvi, de créer une piste cyclable de Tel-Aviv à Jérusalem « parce que dans ce sens là, ça descend ! ».
Ancien Directeur général de la Chambre de commerce France-Israël avant de devenir responsable du programme gouvernemental de coopération technologique avec l’Etat hébreu au sein de la nouvelle structure héritée de l’Anvar (Oséo-Anvar), fondateur d’une société de conseil spécialisée dans la Silicon Valley israélienne, Dominique Bourra, le troisième spécialiste a d’emblée constaté que la « crise financière mondiale avait des effets manifestes dans le domaine des hautes technologies en Israël en raison de la « forte visibilité » de ce secteur dans la vie économique du pays. Mais les licenciements dans les sociétés et le gel des financements des projets n’empêchent nullement de consacrer Israël comme huitième puissance spatiale mondiale. Et de constater que les technologies conçues sur place, se retrouvent disséminées dans le monde, ne serait-ce que par le nombre de Start-up rachetées par les grandes sociétés « high tech » de la planète. Avant de trouver leur application dans le domaine civil, a précisé Dominique Bourra dans un langage particulièrement accessible compte tenu de la technicité des sujets abordés, les principales innovations -comme les pilules médicales endoscopiques M2A- proviennent le plus souvent des fruits de la recherche militaire, parfois même des « unités ad hoc de l’armée israélienne ». Le spécialiste a fourni une série d’indications chiffrées éloquentes sur l’engagement de l’Etat hébreu : « 110 centres font travailler 35 000 personnes dans le domaine de l’innovation purement technologique » a-t-il expliqué, avant d’avancer plusieurs raisons du « succès de l’entreprise technologique israélienne » lato sensu. Outre le fait que la technologie soit le meilleur « bouclier de l’Etat hébreu », la réussite s’explique également par un « tropisme culturel », « des gens curieux et qui échangent les informations », une référence probablement implicite sur la rétention de l’information qui caractérise le système français et où la France détient l’une des premières places dans la production mondiale des données technologiques mais n’occupe qu’un rang subalterne dans les capacités d’exploitation de ces dernières. S’y ajoutent, selon lui, des facteurs d’opportunité dus aux vagues successives d’immigration : et de raconter l’anecdote concernant une société spécialisée dans le matériel de pompage d’eau de piscine devenue, après l’intégration d’ingénieurs russes, une entreprise fabriquant des moteurs de missile ! Enfin, le secteur profite, selon lui, d’un système de financement exemplaire : la plupart des banques, dont la « Bank Hapoalim » représentée ce soir là par son vice-Président Yehuda Simon Sabbah venu spécialement de Tel-Aviv, possèdent des départements réservés aux investissements dans cette branche d’activité, ce qui permet pratiquement le financement d’une Start-up par jour ! Autant d’éléments qui forment un « écosystème » particulièrement propice au dynamisme et à la bonne fortune du secteur.
Mais c’est surtout dans le domaine passionnant des nanotechnologies (ces technologies miniaturisées) que le conférencier a le plus impressionné son auditoire : 240 centres de recherche, « autant qu’en France » a-t-il souligné, travaillent non seulement sur les « NBIC » (Nanotechnologies, Biologie, Information, Cognition) mais également sur les « BANG » (Bits, Atoms, Neurons, Genes) qui font converger informatique, nanotechnologies, neurosciences et génétique. Des « cocktails de sciences » susceptibles de bouleverser en profondeur tous les paramètres sécuritaires existants, et ce, pour un marché mondial estimé, en 2015-2020, à 2500 milliards de dollars. Son souci de la performance, une bonne dose de perfectionnisme doublée d’une relative impatience ont conduit Dominique Bourra à regretter les obstacles administratifs et institutionnels français dans la progression de cette coopération : « 50 % des brevets en Europe sur les « nano » sont allemands et la coopération avec l’Allemagne se situe loin devant celle avec la France », a-t-il lancé à l’assistance, démontrant que les circonstances historiques n’influaient plus, comme on le pensait trop généralement, sur le comportement de notre voisin d’outre-Rhin à l’égard de l’Etat hébreu. S’il a qualifié les échanges commerciaux entre la France et Israël « d’honorables », le conférencier a néanmoins regretté que « 50% des entreprises françaises du CAC40 ignorent l’Etat hébreu » et « qu’il y ait quatre fois plus de sociétés israéliennes cotées à Londres que sur Euronext ». En cause, les questions de financement : pas de fond bilatéral de soutien à la R&D comme il en existe entre Israël et les Etats-Unis, le Canada ou Singapour, pas d’éligibilité au crédit d’impôt-recherche des coopérations avec Israël, pénalisant toute société désireuse d’investir dans des entreprises de l’Etat hébreu, une administration séparée pour le financement et pour les évaluations des partenariats R&D franco-israéliens et, enfin, une absence de coordination stratégique des initiatives scientifiques et industrielles. Bref, une longue liste de récriminations, souvent passées sous silence pour des motifs politiques mais susceptibles de « peser sur la relation commerciale entre les deux pays », a conclu le scientifique. Des regrets néanmoins peu susceptibles d’entamer son réel enthousiasme sur la coopération entre la France et Israël dans un domaine aussi porteur.
Un enthousiasme caractéristique des habitants de l’Etat hébreu, illustré par Simona Frankel, la Consul Général d’Israël à Marseille, citant avec émotion dans sa brève allocution, le « premier Premier Ministre » David Ben Gourion : « Pour être réaliste en Israël…il faut croire aux miracles ».