Même s’ils diminuent d’intensité, les affrontements entre adolescents et forces de police dans plusieurs villes de la Grèce risquent finalement de faire de nombreux émules dans les autres capitales européennes. Notamment en France. Moins pour les actions violentes qui résultent d’une tradition spécifique d’anarcho-syndicalisme au sein des mouvements estudiantins grecs – phénomène nettement moins répandu dans l’Hexagone – que pour la dimension hautement symbolique qui émane des protestations de ces lycéens et jeunes universitaires : désormais « habillés en blanc pour se distinguer des autres » – des casseurs -, ces manifestants réclament « compréhension » et « attention ». A ce titre, la vive émotion suscitée par la mort tragique du jeune Alexandros s’accompagne d’une réelle lassitude de la jeune bourgeoisie hellène devant les incapacités récurrentes d’une société politique et civile grecque, jugée inapte à réformer un modèle devenu archaïque. Des critiques qui visent, par surcroît, un personnel politique décrit par la population comme aussi « notoirement incompétent que corrompu » et littéralement rivé au pouvoir depuis des décennies. Avec en outre, en toile de fond, un drapeau européen et une crise économique où les promesses pourtant étoilées du premier sont venues se briser sur les douloureux écueils de la seconde. Autant de signaux à ne pas négliger. Athènes n’est certes pas l’Europe. Elle en est pourtant le berceau.
Crise financière, crise économique, crise sociale… crise identitaire. Un processus inexorable dans l’enchaînement de ses multiples conséquences et susceptible de « libérer » des milliers de jeunes de leurs allégeances traditionnelles : celles d’un « contrat d’obéissance » qui se rompt lorsque le pouvoir n’est plus en mesure de garantir le cadre rassurant d’une existence sur le moyen terme. Dans son texte « Malaise dans la civilisation », Sigmund Freud parle de cette « communauté de droit » consécutive à l’abandon imposé par contrat à la violence inhérente à tout être humain : des « compensations et des bénéfices » sont obtenus en échange de la contrainte et du renoncement de l’individu aux accomplissements de la violence pulsionnelle. Loin d’être des anarchistes ou des « politiquement manipulés », aux lycéens français qui manifestent à Paris comme en province sont venus s’adjoindre les étudiants des IUT, pourtant soucieux par leur engagement dans ce type de formations professionalisantes, de trouver un emploi aussi rapidement que possible, sinon de « travailler plus pour gagner plus ». Seront-ils eux aussi « compris et entendus »?
On peut toujours se féliciter de la proposition de Xavier Darcos, de vouloir désormais enseigner l’économie et la vie des entreprises à partir de la classe de seconde : mais quid des distorsions prévisibles entre le cours théorique et les réalités quotidiennes ? Osera-t-on jamais faire l’exégèse pédagogique de la formule employée par la Ministre des finances au sujet du déficit abyssal – plus de 40 milliards d’euros – de notre commerce extérieur : « Peut mieux faire » ? Quelles leçons de Sciences politiques – le Gouvernement de la Cité pour demeurer dans l’atmosphère athénienne – nos chères « têtes blondes » vont-elles également tirer à la vue de ministres qui se jalousent et s’invectivent pour des emplacements géographiques de bureaux, d’autres qui refusent de fulgurantes promotions pour un trajet de TGV, d’autres encore qui préfèrent renier leurs engagements humanitaires pour d’oscillantes considérations de « realpolitik » ? Sans parler d’une opposition qui renoue avec des pratiques quasi staliniennes de l’exclusion: autant de grains à moudre pour une jeunesse déjà passablement secouée par de faibles perspectives d’avenir.
« L’homme civilisé, tentait d’expliquer le fondateur de la psychanalyse, a fait l’échange d’une part de bonheur contre une part de sécurité ». En ces temps où l’un comme l’autre sont directement menacés, prenons garde aux conditions du « pacte », afin que celui-ci ne soit pas perçu comme un marché de dupes.