Etait-ce la température glaciale qui imprégnait les abords du Conservatoire de musique situé sur les hauteurs de Cimiez ? La relative froideur fonctionnelle de l’auditorium ? La présence d’un public qui n’était pas celui habituellement croisé dans les couloirs de l’Opéra ? Toujours est-il que l’atmosphère ne fut pas très propice au concert exceptionnel donné par l’Orchestre philharmonique de Nice vendredi 9 janvier et ce, en dépit d’un programme en provenance d’Europe centrale pourtant à même de réchauffer les cœurs et les esprits : la Petite suite du compositeur polonais Witold Lutoslawski, le Concerto pour Violon et Orchestre en ré mineur de Robert Schumann et la Symphonie n°6 en fa majeur de Ludwig van Beethoven, dite « Pastorale ».
Un vent d’Est soufflait dans la fosse dirigée par le Chef, également d’origine polonaise, Antoni Wit, l’un des grands de son pays et à l’origine de plus de 150 disques et enregistrements vendus à plus de trois millions d’exemplaires. Pourtant, le maestro a donné le sentiment d’une grande lassitude, réfugié tout le long de sa prestation derrière le masque d’un visage impassible et qu’aucune réaction à destination de l’Orchestre ne venait altérer, assurant finalement une sorte de « service minimum ». Au risque d’aseptiser les profonds et lancinants désarrois contenus dans le Concerto de Schumann et d’atténuer les vives exaltations présentes dans les cinq tableaux de la « Pastorale » conçue par Beethoven. Une « Pastorale » dont le premier mouvement a singulièrement manqué d’amplitude, marqué par un balancement mélodique pesant au lieu de la légèreté suggérée par cette musique à thème. La remarque vaut également pour l’Allegro du troisième mouvement, une « joyeuse assemblée de paysans » probablement touchée par la crise économique, tant il était dénué de couleurs, monolithe, peu sujet aux variations orchestrales souvent réduites, voire inexistantes. Seul « l’orage » du quatrième mouvement est, semble-t-il, parvenu à électriser pour un temps le grand corps élancé d’Antoni Wit, décidément plus à l’aise dans le « fortissimo » et le rythme. Au point que certains des musiciens confiaient à la sortie « avoir pu jouer sans lui sans trop faire de différences ». C’est dire.
Quant au très jeune violoniste allemand Linus Roth, -il est né en 1977 à Ravensburg- lauréat du Premier Prix au Concours national outre-Rhin « Jugend musiziert », il a accumulé très rapidement de très nombreuses et de très prestigieuses distinctions internationales. Nous avons assurément affaire à un virtuose, c’est une vérité d’évidence. Seulement voilà, dans ce Concerto pour Violon et Orchestre en ré mineur de Robert Schumann, l’un des plus sombres que le compositeur tourmenté ait eu à écrire dans sa vie, Linus Roth ne convainc pas. Ses gestes secs, son manque d’onctuosité, son jeu aride constitué de notes détachées, comme tranchées par une lame affûtée, illustrent un artiste certes enthousiaste, fougueux de jeunesse dans sa virtuosité mais aussi froid qu’un poisson mort dans l’expressivité et l’émotion. Il ne s’agissait pas, comme il s’exécuta dans un « bis » dont il n’eut pas la courtoisie d’attendre que le public le lui réclamât, d’infliger une leçon de technique violonistique. En clair, de tripatouiller, si l’on ose dire, son instrument et son archet dans tous les sens pour épater le public : encore convenait-il de l’émouvoir. Ce jeune artiste joue avec une impressionnante technicité mais il en oublie -son narcissisme serait-il la preuve de son anxiété sur le sujet ? – le romantisme et la sensibilité exacerbés de cette oeuvre.
On attend donc avec impatience le prochain concert du vendredi 30 janvier sur le même thème européen avec la Symphonie n°4 en fa mineur de Tchaïkovski, le Concerto pour violon n°2 de Szymanowski et l’ouverture de « Rousslan et Ludmilla » de Glinka. L’orchestre philharmonique de Nice sera dirigé par George Pehlivanian et la soliste sera celle dont les auditeurs niçois apprécient de longue date la magistrale sensibilité, Vera Brodmann-Novakova.