Cette femme s’appelle Laurence Ferrara. Elle est de Lucéram, village dans lequel elle a monté son atelier de filage de laine. Avec Laurence, un métier d’antant reprend vie. Pour en savoir, elle nous a ouvert les portes de son savoir faire.
Nice-Premium : Bonjour Laurence, mais dites-nous qu’êtes vous en train de faire ?
Laurence Ferrara : Et bien je suis en train de filer de la laine sur mon rouet et pour cela j’utilise de la toison de mouton ou autres bêtes à fibres, soit déjà préparées comme ici sous forme de mèche soit à partir de toisons brutes que je lave puis ensuite que je carde. Le cardage consistant à allonger les fibres les unes à côté des autres à l’aide d’une cardeuse
N-P : Il est très rare aujourd’hui de voir fonctionner un rouet, n’est-ce pas ?
L.F. : Oui, c’est un procédé qu’utilisaient nos grands-mères lorsque les usines de filage industrielle n’existaient pas encore. C’était le seul moyen de transformer la toison des moutons en fil pour ensuite tricoter des vêtements.
De nos jours l’engouement pour les travaux manuels et le retour aux sources fait réapparaitre ces petits engins merveilleux. Nous ne sommes qu’une poignée aujourd’hui, passionnés comme moi et bien décidés à faire renaitre ces gestes d’antan.
N-P : Comment avez-vous appris le savoir-faire du « filage » ?
L.F. : La magie d’internet m’a permis de m’initier au filage. Des recherches m’ont amenée à découvrir un forum français sur le filage. Il s’appelle TRICOFLOK et est animé par Sandrine. On y trouve tout les conseils des fileuses confirmées, les méthodes de chacune. On débute tant bien que mal car nous ne sommes pas toujours proches les unes des autres pour se rencontrer. Alors, j’ai continué mes recherches afin de trouver un stage de filage. C’est l’Association TIRELAINE qui m’a permis de concrétiser mon rêve. Catherine, l’animatrice a été formidable durant les trois jours de stage et pour la petite anecdote après m’avoir avoir instruite schématiquement sur le fonctionnement d’un rouet, je passais à la pratique. La fibre dans la main le rouet élancé, le fil apparaissait comme par magie au bout de mes doigts. C’est alors que Catherine me demandait: « mais tu files depuis combien de temps Laurence « je lui répondais « depuis 30 seconde ».Eclat de rire de la part de Catherine qui n’en revenait pas de la régularité de mon fil. Je comprenais alors que le filage était en moi depuis toujours comme une seconde nature.
N-P : Et puis le filage est devenu votre passion … Justement, qu’est-ce qui vous passionne dans ce métier artisanal ?
L.F. : C’est difficile et facile à la fois de vous dire le pourquoi de ma passion. Je suis complètement moi quand je file. Mais je crois que j’exprime aussi mon adéquation avec la nature quand je file. Ce lien étroit qui nous rapproche de notre terre nourricière. Trop de modernité tue nos racines et l’histoire de notre existence. Nous passons à côté des moutons qu’en ne voyant en eux la carcasse de viande qui remplira notre assiette mais oublions qu’ils réchauffent nos hivers avec leur belles toisons. Si nous nous arrêtions quelques instants et regardions autour de nous, on s’apercevrait que Dame nature nous offre tout ce dont nous avons besoin.
N-P : Des rencontres en particulier, vous ont-elles orientées vers la laine ?
L.F. : La laine est venue à moi toute seule. Dès l’âge de 10 ans je tricotais mon premier pull. Des années plus tard et des dizaines de tricots plus tard aussi, je sentais qu’il fallait que j’approfondisse une étape. Un appel, je ne sais quoi dire, vos doigts veulent plus qu’une pelote tout prête
N-P : En parlant de rencontres, y en a-t-il eu une qui vous a particulièrement marquée ? Par exemple, lors d’une foire.
L.F. : Comme je vous disais les rencontres entre fileuse sont rares car sur le forum nous sommes souvent éloignées les unes des autres. Mais parfois la vie en décide autrement et c’est sur une foire justement, plus exactement à la Fête de la laine à GUILLAUME (06) que j’ai fais la connaissance de Sandrine, une membre du forum, dont je reconnaissais de suite le visage pour l’avoir sur le forum. Une rencontre merveilleuse. Elle habite dans le 04 non loin de la frontière du 06. Nous avons tellement échangé durant cette journée que depuis nous restons en contact régulier hebdomadaire. Une fille généreuse, pleine de vie, sans chichi, une amie comme je les aime.
N-P : Petite, il paraît que vous jouez déjà avec les aiguilles quand d’autres jouaient avec les billes, n’est-ce pas ? Une « initiation familiale » ?
L.F. : Oui, je dois dire que mon entourage familial y est pour beaucoup dans cette passion. Deux grands-mères tricoteuses, comment ne pas échapper au virus. Les deux m’ont initiée à leur manière. Vous dire avec laquelle des deux j’ai le plus évolué, je ne sais, mes souvenirs me ramènent vers des dimanches ou des vacances scolaires assises et studieuses à tricoter, maille après maille, à reprendre erreur après erreur. Une écharpe de poupée par ci, une écharpe de poupée par là et déjà j’apprenais à faire les augmentations. J’ai du tenir mes premières aiguilles vers six ou sept ans.
N-P : Mais « tricoter » était-ce le métier auquel vous songiez enfant ?
L.F. : Oui et non. Le tricot en particulier non mais je voulais être styliste de mode, donc la création vestimentaire était déjà de rigueur. Je me voyais déjà en haut de l’affiche avec mes propres créations. Je suppose que j’aurais créé aussi dans le monde du tricot.
N-P : Vous avez pris « le fil » des études universitaires ?
L.F. : Non pas du tout. Mes parents n’ont pas cru à ma passion de styliste et m’ont engagée à me diriger vers le baccalauréat. Passionnée contrariée, je ratais mon BAC. Les années étant passées, il fallait gagner sa vie et je suis rentrée dans la fonction publique. 17 années de service actif plus tard et trois jolies filles, je prenais ma retraite et me replongeait à volonté dans les travaux manuels et surtout le tricot.
N-P : Alors aujourd’hui, non seulement vous tricotez, mais vous tricotez votre propre laine. Le rêve s’est réalisé ?
L.F. : Oui, le rêve se réalise enfin, je concrétise tous les jours un peu plus.
N-P : Et à la clé, une entreprise aussi en 2009 !
L.F. : Alors là, c’est comme une deuxième naissance. CAPE’LAINE a vu le jour le 7 Janvier dernier. Artisane fileuse répertoriée comme « Préparation de fibre textile et filature ». Quelle fierté !
N-P : Sans oublier un atelier à domicile ?
L.F. : Oui aussi, des travaux de rénovation sont en cours et celui-ci devrait être enfin prêt courant février. Un espace exclusivement consacré à l’art du filage. Démonstrations et stages sont au programme.
N-P : Et au fait, comment va le marché de la laine ?
L.F. : Certains vous diront mal. Normal, en période de crise, tout va mal. Mais le marché de la laine se porte plutôt bien. Mais je voudrais préciser le marché de la vraie laine, pas des fils synthétiques. Quels que soitent les budgets, les gens reviennent au naturel. Même si une laine filée main semble couter plus cher qu’un fil de production industrielle, la clientèle ne se trompe pas. Certains fils de la grande distribution sont souvent aussi chers que ma production. Cette clientèle, celle qui recherche le vrai, le naturel, a toujours été là mais elle a été habituée à autre chose depuis des dizaines d’année. A nous donc de la reconquérir et de lui dire que nous somme de retour, qu’elle peut compter sur nous.
N-P : Et pour terminer, à tous ce qui disent que la laine « ça pique » que leur répondez vous ?
L.F. : Vrai et faux. Mais je vais garder un peu de secret en vous disant tout simplement venez me voir à mon atelier et je vous livrerai tout les secrets de la laine.