Exceptionnel, ce concert de l’Orchestre philharmonique de Nice sous la direction de Marco Guidarini l’était ce samedi 28 février à plus d’un titre : en premier lieu, cela faisait déjà quelques semaines, en fait depuis l’ouverture de la saison lyrique niçoise avec le « Macbeth » et le concert consacré à la VIIème Symphonie de Chostakovitch (https://www.nicepremium.fr/article/de-l-aerien-matalon-au-grave-chostakovitch-le-meilleur-de-la-philharmonie-de-nice.4012.html), que le Directeur musical n’était pas intervenu dans la fosse de l’Opéra. Ensuite, en raison du programme, deux morceaux présentés comme des aboutissements du travail symphonique par des compositeurs souvent associés. A la fois par leur proximité dans le temps mais également par le fait qu’il existait entre les deux une dialectique quasi hégélienne du maître et de l’élève. La symphonie n° 38 de Wolfgang Amadeus Mozart, dite « Prague » et la symphonie 104 de Franz Joseph Haydn, dite « Londres » constituent deux pièces d’architecture musicale de haut niveau. Ce qui rend d’autant plus difficile la discussion sur leur interprétation.
A l’accoutumée, Marco Guidarini ne recule pas devant les exigences d’une direction rigoureuse, méticuleuse et souvent intellectualisée. Chaque mouvement semble avoir été étudié, décortiqué, approfondi dans ses significations latentes. Inspiré sans doute par ses découvertes, le Maestro souhaite visiblement restituer au public le fruit de ses réflexions. Au point de risquer une approche parfois un peu scolastique, docte, presque trop « savante ». Sans doute celle-ci correspond-elle dans l’oeuvre de Mozart à cette « grave intériorité », au moins dans l’introduction lente, non majestueuse par la puissance mais par ces marches successives et ces gradations régulières suggérées par les séquences harmoniques et dont le clavecin vient délicatement ponctuer chaque franchissement. Séquences dans lesquelles de nombreux exégètes ont voulu déceler la solennité toute empreinte de concentration d’une ouverture rituelle des travaux maçonniques. Certains habitués y trouveraient d’énigmatiques ressemblances avec des accents mélodiques de « Don Giovanni » ou de la « Flûte enchantée ».
Une impression d’étrangeté considérablement renforcée par un Orchestre en formation réduite : le nombre d’instrumentistes dont Haydn bénéficia pour jouer en 1795 sa Symphonie n° 104 approchait, nous explique-t-on, les 65 musiciens alors que Nice en comptait l’autre soir à peine une quarantaine. Ce qui donnait parfois le sentiment de retrouver un discours musical de chambre, aux proportionnalités restreintes et réservées aux seuls membres bienheureux d’un salon du XVIIIème.
Marco Guidarini satisfait plus facilement son désir de contrôle dans le deuxième mouvement de la 38ème Symphonie de Mozart caractérisé par la discrétion, une sorte d’effacement mélodique, où continue néanmoins de se manifester le mélange des deux thèmes qui anime cette œuvre. Une maîtrise toutefois plus complexe à poursuivre dans les deux autres mouvements où le chef semble retenir, freiner les élans spontanés de son orchestre. Après tout, c’est le chef. Mais cette orientation du Maestro laisse accroire qu’elle finit par limiter l’espace interprétatif personnel des musiciens.
Entre les deux, un « break », si l’on ose dire puisque le programme proposait le Concerto pour piano de Francis Poulenc de 1949 : une saillie drolatique musicale tant ce morceau rappelle à la fois une « bande annonce » de film mais également un morceau très réjouissant nourri de talents manifestes d’orchestration et d’un jeu original des tonalités sur un même thème. Dans ce morceau, Poulenc agence des harmonies classiques de cordes, brutalement interrompues par une ponctuation aussi brève qu’intense de cuivres. L’auteur s’amuse à ce point qu’on a beau constater et respecter le sérieux et l’implication des musiciens et du chef, on sourit ! Fantastiques effets psychologiques de cette musique si particulière où prime plutôt la qualité que la quantité de l’intervention pianistique : lauréat de nombreux concours internationaux, spécialiste du répertoire romantique -les cinq volumes de son « Intégrale Schumann » ont été largement salués par la critique- Eric Le Sage se fait visiblement plaisir. Une sensation largement partagée avec le public qui lui a réclamé bruyamment un bis. En vain. Soirée doctorale jusqu’au bout.