C’est le genre de type qui se rend à Téhéran, à Bagdad ou à Beyrouth comme d’autres prennent le « 63 » pour aller chez leur psychanalyste boulevard Saint-Germain. Mais tout le monde ne s’appelle pas Robert Baer, ancien -mais l’est-on jamais dans ce métier ?- espion à la CIA et longtemps chef de la région Moyen-Orient pour la Central Intelligence Agency basée à Langley.
Le but du livre : chercher à cerner cette « pulsion impériale de l’Iran », pays qualifié « d’étoile montante » par l’auteur. Démarche logique, ce dernier consacre la partie introductive de son ouvrage à ce « paradoxe iranien », mettant notamment en exergue non seulement sa complexité globale -la mixité des ethnies, l’histoire millénaire- mais se demandant également pourquoi les Mollahs cherchent à la fois à « humilier et à travailler avec les Etats-Unis ». Tout visiteur ne manque pas en effet de s’interroger sur la réelle volonté des responsables religieux capables de faire défiler des soldats le jour du « Rouz Artech » (le jour de l’armée) sur un drapeau américain dessiné à même le bitume mais d’exiger uniquement des dollars pour tout paiement dans les hôtels internationaux. Conscient des difficultés potentielles à aborder directement les rivages de l’Iran, l’auteur préfère une exploitation « périphérique » des informations, à l’image du proverbe iranien qui veut que « l’on parle aux portes pour que les murs entendent » : pour comprendre l’Iran, explique Rober Baer, il faut en fait passer par le Liban, l’Iraq et l’Afghanistan.
S’il contient de nombreux développements riches d’enseignement, l’ouvrage ne cherche pas à dissimuler les propres contradictions d’un auteur pourtant familier avec ce pays à force de multiplier pérégrinations locales et régionales : reflets des intrications culturelles et historiques de la Perse antique, elles se révèlent compréhensibles même pour qui parvient à survivre à la fatale attraction susceptible d’être exercée par ce pays. Pari encore plus incertain pour qui en parle, par surcroît, la langue.
L’auteur est à la fois capable de saisir et d’expliciter des traits caractéristiques de la pensée iranienne comme l’énigmatique mélange de haine et de fascination envers l’Amérique ou la patience millénaire du peuple iranien qui raisonne dans une logique espace temps qui nous est complètement étrangère. Il décrit aussi avec justesse le fait que la Garde révolutionnaire -sepah-e pasdaran- soit devenue une « confrérie exclusive, quasiment un rite de passage pour tout iranien animé d’ambitions politique ». Mais il oublie de signaler le prix à payer de cet « engouement » forcé: la base de cette institution devient particulièrement fragile et perméable aux maux sociaux de l’Iran ce qui suscite désormais la méfiance d’une bonne part de ses cadres et dirigeants.
Il marque par ailleurs son étonnement -purement américain ?- face, par exemple, à la tolérance du régime pour la consommation de l’opium, oubliant qu’il s’agit là d’une tradition culturelle ancestrale jamais interrompue : il n’était pas rare, même à l’époque du Chah, de donner aux enfants des doses infinitésimales de cette substance psychoactive afin de soigner un mal de dent ou des problèmes de santé bénins. L’arrivée de la révolution islamique n’y a rien changé. Peut-être même le recours à l’opium ainsi qu’à d’autres drogues s’est-il amplifié en raison des difficultés économiques et de l’explosion du chômage chez les jeunes.
L’auteur explique ailleurs que les restaurants lui rappellent la mode « soviétique » : « mauvaise nourriture et service minable ». Mais le fait est connu que les Iraniens privilégient depuis longtemps les repas à domicile où ils se sentent plus à l’aise, éventuellement pour l’accompagner d’alcool, vin ou vodka « home made ». A la seule et notable exception, notamment en été, des dîners festifs, plutôt animés et en plein air de Farazod ou de Darband où l’on déguste en famille de gargantuesques brochettes à l’ombre bienveillante des feuilles de « tut » (mûrier géant), rasséréné par l’eau fraîche des cascades environnantes. Si l’auteur n’a pas connu ces endroits, il n’a pas entièrement compris l’Iran. « L’Iran, une société fermée », s’interroge ce faisant, Robert Baer ? Comme leurs lointains « cousins » phéniciens du Liban, les Iraniens sont incroyablement curieux…et informés des modes occidentales, signe d’un attrait et d’une sympathie naturelle envers l’étranger. Laquelle peut toutefois trouver des difficultés à s’exprimer dans le contexte politique du régime islamique.
On notera par ailleurs le long développement, très critique, sur Ahmad Chalabi, ancien leader de l’opposition iraquienne pourtant réputé proche de la CIA -et aussi des Iraniens- avec lequel l’auteur a, semble-t-il, quelques solides comptes à régler. Ses prédictions sur un Iran capable d’établir un monopole pétrolier ne se sont pas réalisées même si elles annoncent la mobilisation des Sunnites contre la montée en puissance de leur voisin chiite. Un auteur toujours trop sûr de lui lorsqu’il affirme également que les Sunnites iraquiens ne reprendront jamais le pouvoir, assertion démentie par les résultats des dernières élections régionales dans ce pays. « L’Iran peut-il se résumer à une théocratie ? », finit par se demander Robert Baer qui répond par la négative : dans cette nébuleuse des services de sécurité et d’institutions militaires eux-mêmes dirigés par des religieux, ce sont, explique-t-il, les ministères régaliens sous la tutelle du Guide qui détiennent le pouvoir.
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Alternant analyses très pointues et quelques approximations, l’auteur n’en reste pas moins un homme de contacts et de réseau : il relate ainsi sa rencontre avec le frère du nouveau chef des Gardiens de la révolution dans un quartier de Londres en 2007 ou commente amplement un entretien d’une de ses sources avec l’ex-président Hachémi Rafsandjani après la nomination de celui-ci au Conseil de discernement. Rafsandjani, un homme qualifié par l’auteur, et avec raison, de « meilleur baromètre de la politique et de la stratégie iranienne ».
Faut-il pour autant le suivre dans ses conclusions lorsqu’il suggère une alliance des Etats-Unis avec l’Iran pour contrer la puissance de la Russie ou celle de la Chine ?
Robert Baer, « Iran, l’irrésistible ascension », Editions JC Lattès, 2008.