Lors d’un récent séminaire, un cadre industriel apprenant ma profession de psychanalyste s’approche discrètement et « se » raconte à travers « l’histoire complexe d’un ami très proche ». Quelques minutes d’entretien autour d’un café lui suffisent pour m’expliquer que « nombreux » sont ceux et celles de son entreprise qui auraient « besoin de mes services ». Il évoque la « perte du sens de son travail », le « manque de reconnaissance » des dirigeants…et les « effets de la crise ».
Conséquence inattendue et indirecte de la crise économique mondiale : des salariés comme des cadres de sociétés se mettent à s’interroger…sur eux-mêmes ! Finies la spirale infernale du travail au quotidien et les perspectives d’évolution de la carrière. Terminés en apparence les courses effrénées à la promotion sociale et les efforts exceptionnels pour atteindre les objectifs fixés par la direction. En cause, selon plusieurs enquêtes dont celle du quotidien « Le Monde », ce qu’on nomme la culture d’entreprise. Censé suggérer un sentiment général d’appartenance, une « filiation » toujours rassurante dans sa présentation et dans ses retombées inconscientes, cet esprit caractéristique de l’entreprise vise à proposer une « identification » collective afin de combler les failles personnelles. Elle prétend, en outre, diffuser parmi les personnels une « raison d’être » de leur engagement. Cette marque spécifique construite autour d’une « image » de la « boite » subit désormais les affres de la modernité économique : « les fusions, acquisitions et les changements d’actionnaires ne permettent plus d’identifier les authentiques décideurs », entend-on ici ou là. Le lien hiérarchique, celui qui fait « sens » dans la psyché de l’employé, semble rompu. Le salarié se sent « abandonné », le cadre « dévalorisé ».
La crise : de nouvelles opportunités ?
L’acuité de la crise révèle les artifices idéalisés de l’hyperconsommation et les aléas du monde économique. On se « recentre sur soi ». Largement amorcée avant les faillites bancaires, les plans de relance et la hausse spectaculaire du chômage, cette « redécouverte de soi » s’étaye sur le besoin de faire ressurgir l’essentiel contre l’accessoire : le moment est jugé « opportun » de savoir « qui l’on est et où l’on va », histoire de mieux repartir le moment venu. Il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre ces mêmes personnes expliquer, par ailleurs, que la crise va « redistribuer les cartes », « offrir de nouvelles opportunités ». Bref, le « moment optimal » pour changer de job, moment qu’il convient toutefois d’accompagner d’une « recherche personnelle ». Signe des temps, la question se pose d’installer des « psys » en entreprise. S’agira-t-il simplement d’écouter, de repérer, d’intervenir, voire de « réparer » ? Les symptômes des patients reflètent très souvent les maux de la société : le « psy » qui travaillerait de cette manière sur le « réel » ne risque-t-il pas de cautionner, voire de renforcer la souffrance qui s’y origine tout en dédouanant l’entreprise de ses éventuelles responsabilités ? Pour des raisons différentes, les salariés comme les cadres peinent généralement à évoquer leurs problèmes psychologiques : soit pour éviter d’être « singularisés », soit même parce qu’ils n’en appréhendent pas la nature. Même lorsqu’ils en souffrent. A ce titre, la crise pourrait aider la parole à trouver les chemins de son expression.
Conseils de lecture:
La vie idéalisée par la culture d’entreprise et les nouvelles méthodes managériales ne seraient qu’un leurre. Pire une source d’annihilation de l’humain. Un livre stimulant fondé sur des témoignages et volontairement rédigé sur un mode parodiant le vocabulaire des « cadres dynamiques ». Alexandre des Isnards, Thomas Zuber, « L’open space m’a tuer », Hachette Littératures, 2008, 213 p., 16,50 euros.
Tout n’est pas perdu ! Un père psychiatre et son fils, ancien élève de classe Prépa et aujourd’hui dirigeant d’un grand groupe international, donnent de judicieux conseils aux jeunes qui veulent se lancer dans cette aventure de la préparation aux grandes Ecoles. Patrice Huerre, Thomas Huerre, « La prépa…sans stress ! », Hachette Littératures, 2009, 162 p., 14 euros.