Infréquentable ? De tous les sentiers de randonnée qu’offre la
chanson, ceux de Bénabar sont parmi les plus fréquentés. Prenez son
précédent album studio, il y a trois ans, « Reprise des négociations » :
1 300 000 exemplaires, carton. Comme la tournée qui s’en est suivie,
remplie à ras bord jusqu’au Bercy final. Alors, infréquentable, le
chanteur qui a gagné ses galons d’artiste populaire, « le consensuel
chroniqueur de la vie comme elle va », avec ses « moins bien et ses peut
mieux faire », « ses copains de toujours », « ses amours à jamais », « ses
espoirs et ses estropiés ».
Entendons-nous, ou plutôt entendons-le : ce nouvel album a pourtant de
quoi réjouir. Outre que le côté sombre de l’artiste apparaît ici plus
clairement, si l’on ose ainsi s’exprimer, celui-ci car Bénabar
poursuit l’évolution amorcée avec Reprise des négociations ; la mène
plus loin ; va où elle veut aller. Ose. Surprend. Bénabar ne fait pas
du Bénabar.
Il aurait pu faire de son style un procédé. Pas lui. Pas envie. Il a
écrit ses chansons dans son coin, comme d’habitude, puis a changé
d’habitudes. A commencer par les choix de production. Jusqu’ici, il
abordait ses chansons au piano. Cette fois, c’est sur une guitare que
les petites nouvelles ont pris naissance. Puis, aux arrangeurs
Jean-François Berger et Fabrice Ravel Chapuis, déjà compères de studio
lors de la dernière session, s’est joint François Delabrière. Il a
mixé le précédent album de Bénabar, réalisé ceux de Kyo et de Daniel
Darc, entre autres.
Ce nouvel album sonne comme cette pop légère et allurée des années 60
qui déjà dansait sur l’album d’avant, affirmant ici l’éclat classieux
de ses cuivres, une élégance crâne à la Nino Ferrer, une joie
mélancolique de canzonetta italienne. C’est une musique de variétés,
terme toujours revendiqué par Bénabar alors qu’il a longtemps suscité
la réprobation du milieu musical. Il faut dire que souvent, variété a
rimé avec vacuité. Lui a choisi l’efficacité du genre.
Bénabar revisite aussi ses thèmes favoris, comme celui des copains.
De « Allez ! », rencontre drôle-amère entre un dépressif et un bien
intentionné, à « Pas du tout », dialogue moqueur entre les musiciens et
le chanteur (collaborateur complice de ce titre : Louis Chédid, auteur
de la comédie musicale Le Soldat rose dont Bénabar fut un interprète)
; en passant par « Où t’étais passé ? », scène de jalousie à un ami. A
sa façon, paradoxale, celle-ci est la seule chanson d’amour de l’album lequel troque les « Je t’aime » contre les « Je ne suis pas aimable
» (« Infréquentable » ), « Tu ne m’aimes plus » (« Reflets verts » ), « Tu
me quittes » (« Si j’avais su » )… « L’Effet papillon » : quand toutes les
anthologies poétiques recommandent de passer du particulier au
général, notre auteur iconoclaste part de l’universel – le naufrage de
la planète – pour en venir à l’intime – coup de soleil ou coup de
boule.
Quelles que soient ses variations sur le thème, toujours Bénabar
pose un regard pénétrant sur le temps et les êtres qui promettent et qui passent.