Suffira-t-il seulement de moraliser le capitalisme ? De promouvoir une régulation des marchés plus conforme à l’éthique ? De rendre plus transparents les échanges financiers internationaux ? Il est permis d’en douter. Non qu’il faille rejeter ou critiquer les premiers résultats très encourageants du sommet du G20. Le « consensus de Washington » a vécu, a expliqué le Premier Ministre britannique Gordon Brown. Le G20, a-t-on entendu ici ou là, a jeté les bases d’un nouvel ordre économique mondial. D’aucuns ont même évoqué un « Yalta » de l’économie et de la finance. Autant de formules louables qui témoignent d’une volonté de prendre la crise à bras-le-corps.
Mais prétendre, comme l’ont assuré les chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Londres, changer les règles fondamentales du système économique sans en modifier sa logique et l’esprit qui sous-tend celle-ci, revient à formuler un aveu d’impuissance : être réduit à caresser une main qu’on ne peut pas mordre.
Plan de relance ou pas, transparence des paradis fiscaux ou pas, la crise -et ses désastreuses conséquences humaines- suscitent désormais des attentes aussi spécifiques que légitimes chez les peuples. En particulier parmi les jeunes. Et il serait vain de croire qu’une série de mesures essentiellement économiques parviendra à les convaincre d’en attendre patiemment les retombées. Pour preuve, les flambées de violences qui ont accompagné les sommets du G20 et la rencontre de l’Otan. De l’Etat de New York à Bastia en passant par Strasbourg, pour prendre les exemples les plus récents, l’on constate une sensible augmentation de ces violences extrêmes, gratuites, actes contestataires et autres agissements criminels dont la condamnation sans appel ne doit pourtant pas masquer leur signification essentielle : invités à quitter un monde dont le G20 vient de stigmatiser tous les artifices et condamner tous les abus, les peuples de la planète vivent ce franchissement avec l’inquiétude de ne pas encore apercevoir l’horizon d’une nouvelle société, largement en gestation. Ce sommet du G20 indique bien le cap mais reste étonnamment silencieux sur la nature de la terre promise.
Sans les comparer aux « terreurs de l’an mil », tout un chacun saisit pourtant bien le caractère anxiogène des incertitudes et des interrogations qui portent sur cet ordre planétaire à venir. La dramatisation de Nicolas Sarkozy avant le sommet de Londres, perçue comme amplement scénarisée, ne l’était probablement qu’à moitié : toute modification soudaine et involontaire des repères traditionnels suscite l’angoisse chez l’être humain qui se défend par une forme d’agressivité et la mise en exergue d’une menace représentée par l’autre.
Changer le monde de l’économie sans changer l’économie du monde ne servira à rien, sauf à affoler la boussole censée indiquer, même avec une marge individuelle d’appréciation, les futures orientations. Or, ce même monde donne quotidiennement à voir un curseur tiraillé entre des raisonnements ancrés dans le passé et des aspirations en quête de modernité. Internet en constitue l’exemple paradigmatique : censé éliminer les barrières entre les hommes pour laisser librement advenir un village mondial de l’information et l’expression des échanges démocratiques, il est aujourd’hui récupéré par une logique de profits et encadré par des lois visant à sanctionner le téléchargement illégal des œuvres culturelles.
Des droits de l’homme aux questions religieuses, de l’éducation ou de la famille à la politique pure, les illustrations ne manquent pas sur cette dichotomie d’engagements qui finissent le plus souvent dans le tombeau des velléités. Afficher le souci de moraliser le capitalisme sans prolonger cette initiative dans la sphère humaine reviendrait, pour plagier Schopenhauer, à offrir au mendiant une « aumône qui le fait vivre assez aujourd’hui pour être à nouveau affamé demain ».
