Dans moins de deux mois auront lieu des élections européennes dont la perspective ne soulève guère -c’est une litote- l’enthousiasme des Français. On les comprend. L’Europe a amplement brillé par son manque d’efficience dans la crise mondiale. Incapable de revendiquer une présence politique institutionnelle, muette en matière de prospective économique et financière, la Commission européenne a montré toute l’étendue de son impuissance. Divisée entre anciens et nouveaux membres, réduite à la solidarité d’une « zone euro », l’UE s’est disloquée, éparpillant ses atouts potentiels au seul profit de quelques Etats-membres. Et ce n’est pas le soutien -faussement résigné- des dirigeants des 27 au renouvellement du mandat de Jose Manuel Barroso, l’actuel Président de la Commission, qui sera susceptible de modifier cette affligeante perception.
Le pari de mobiliser énergiquement les Français pour le 7 juin prochain sera d’autant plus difficile à tenir que cette échéance pâtit d’un habituel détournement du politique à son encontre. En France, et lorsque le « timing » électoral s’y prête, les « Européennes » rendent d’éminents services au pouvoir en place : elles favorisent les inévitables « ajustements techniques » de l’équipe gouvernementale. Parmi les ministres « tombés en disgrâce » ou techniquement « usés », le mouvement de ceux qui s’apprêtent à quitter le gouvernement pour se « recaser » au Parlement européen, ne peut que favoriser cette désaffection populaire. Une désaffection récemment évaluée à 66% d’abstention, selon un sondage réalisé par la Commission européenne dans les pays de l’Union.
Seul avantage finalement de cette élection, l’annonce probable d’un remaniement ministériel. S’il ne l’a déjà fait, le chef de l’Etat devra choisir entre deux options : la première consisterait à faire appel à des personnalités « d’expérience », membres de gouvernements précédents, des « poids lourds » de la sphère politique nationale. Malgré les apparences, la constitution d’un tel gouvernement trahirait un sentiment de défiance et signerait l’inquiétude de l’Elysée devant les incertitudes de l’avenir. Une telle orientation parasiterait, en outre, la stratégie de rupture voulue par le Président de la république tout en accréditant l’idée que ce dernier a épuisé ses réserves. La deuxième option -pour laquelle l’Elysée semble manifester sa préférence- devrait amener Nicolas Sarkozy à constituer une nouvelle équipe formée de cadres plus jeunes, à peine frottés au pouvoir mais pas encore complètement émoussés par ce dernier. Une équipe à même d’accompagner symboliquement cette sortie de crise mondiale dont les signaux se multiplient aux Etats-Unis comme en Chine. Seuls des hommes et des femmes d’une nouvelle génération, quitte à devoir les puiser dans cet « arc républicain » subtilement vanté par le socialiste Manuel Valls, apporteront cette confiance permettant au chef de l’Etat la poursuite de ses réformes.
Encore faut-il que Nicolas Sarkozy accepte certaines modifications dans sa « gouvernance ». L’exemple du rejet, par une poignée de députés, de la Loi Hadopi est révélateur du malaise d’un pouvoir législatif trop rivé à la volonté de l’exécutif. Mis à part quelques rares et courageux spécimens de l’Assemblée nationale qui ont osé braver les consignes présidentielles, les députés UMP qui se sont éclipsés au moment du vote, sont mal venus de dénoncer la « basse manœuvre » de leurs collègues socialistes. N’en déplaise au chef de l’Etat, ce sont sur les premiers qu’il faudra compter pour assurer la relève.
Dans l’édification de sa prochaine équipe, Nicolas Sarkozy aura en fin de compte à trancher entre la crainte, rassurante pour son pouvoir personnel, qu’il inspire aux vieux ténors de sa majorité et la difficulté de canaliser le dynamisme nettement plus frondeur des nouveaux élus. Le sens de l’histoire peut-il encore laisser une place à l’hésitation?