S’il meurt en 1787, six ans avant Marie-Antoinette qui le tenait pour son compositeur préféré, Christoph Willibald Ritter von Gluck appartient aux musiciens de l’ancien régime dont les œuvres ont su traverser la révolution. Au prix toutefois de quelques ajustements. Dans son travail le plus connu, Orphée & Eurydice, la voix du rôle titre a glissé, version de Berlioz aidant, du niveau de contre-ténor à celui d’une mezzo-soprano. Un registre où Marie-Ange Todorovitch a enchanté son public lors de la première, vendredi 24 avril, à l’Opéra de Nice. Loin de cette ennuyeuse « déclamation gluckiste tragique » mentionnée un jour par Marc Minkowski, la tessiture étendue et stable de cette artiste lyrique à la diction impeccable, son aisance vocale nourrie de graves à la beauté suave et épanouie nous entraînent d’emblée à l’opposé des enfers où elle va pourtant chercher son Eurydice. Elle s’impose tout autant par son jeu dramatique très convaincant. Dans son périple initiatique, elle est guidée par l’Amour, interprétée par Sophie Haudebourg, belle voix aux aigus malheureusement trop métalliques. Elle rencontre finalement son Eurydice chantée par Brigitte Hool, soprano dont le public niçois avait déjà eu l’occasion d’apprécier une interprétation d’Agilea dans le Teseo de mars 2007. Elle émeut toujours par la qualité de ses notes hautes, claires et précises, malgré quelques passages où sa diction s’est révélée, on ne sait pas pourquoi, défaillante.
Spectacle complet, cet Orphée & Eurydice n’a pas déçu par la magnifique prestation des chœurs et des ballets de l’Opéra. On citera en particulier les évolutions de Andres Heras Frutos et celles de Paula de Castro, accompagnés par Christine Nonelli et José Ramirez del Toro. Mais la palme revient surtout à l’équipe artistique venue de l’Oper Halle : on saluera la puissance suggestive de la mise en scène et de la chorégraphie de Ralf Rossa ainsi que les effets impressionnants des décors pourtant dépouillés et des superbes éclairages en demi-teinte réalisés par Matthias Hönig. Intensité dynamique de l’action et parfaite symbiose des corps avec la musique à mettre au compte du premier, saisissante impression de volume scénique et subtile évocation des limites ténues entre l’amour et la mort pour le second. Du bel ouvrage savamment complété par les costumes de Wiebke Horn.
La direction musicale assurée par le jeune chef Benjamin Pionnier laisse en revanche une impression plus mitigée : les efforts repérables et bienvenus d’harmonie avec l’Orchestre philharmonique de Nice et le plateau n’épuisent pas le questionnement sur certaines lourdeurs dans l’ouverture ainsi que des interrogations sur des choix discutables de tempi pour certains passages de la partition. Seule réserve pour une performance dans l’ensemble très réussie./.