Au Proche et Moyen-Orient, les choses ne sont pas ce qu’elles sont. Elles sont ce qu’elles paraissent. Volens, nolens, la diplomatie américaine pourrait être entraînée plus rapidement qu’elle ne le souhaite dans le dangereux maelström de cette région. Avec, pour conséquence, l’embarrassante obligation de se départir, aux yeux du monde, du visage aimable du dialogue offert et de la poignée de main tendue, éléments sur lesquels le candidat Obama a naturellement étayé sa campagne présidentielle. De la visite à Washington du premier Ministre israélien à la visibilité de l’engagement américain au Liban, tout n’est, en effet, que lucidité et et réalisme.
Contrairement aux échos généralement pessimistes de la presse, on minimise, de source diplomatique israélienne, la portée des divergences entre Benjamin Nétanyahou et Barack Obama : cette « première rencontre » marque plutôt le « commencement d’un processus de dialogue », une « volonté de s’entendre » qui tient à la fois compte de « l’histoire » et de « l’environnement ». Un environnement si « imprévisible dans cette partie du monde » insiste-t-on encore côté israélien, qu’il rend nécessaire le fait de « ne pas établir de prévisions trop éloignées dans le temps ». Est-ce pour cette raison que l’élément capital de ces entretiens réside finalement dans l’annonce -une concession américaine ?- d’une échéance sur les négociations avec l’Iran ? Cette date butoir -la fin de l’année 2009- correspond, notons le au passage, aux estimations des services israéliens de renseignement sur la limite au-delà de laquelle ces derniers estiment que la République islamique d’Iran pourra plus facilement se doter d’une arme nucléaire. Une échéance qu’un spécialiste israélien des nouvelles technologies qualifie, par ailleurs, de « virtuelle » : rien « n’empêchera un raid préventif dès lors que la survie du pays sera en jeu ». Et les articles parus dans la presse avec cartes d’état-major de Tsahal à l’appui ne servent, selon lui, qu’à montrer la « faisabilité » d’une telle opération tout en « accentuant les pressions psychologiques sur le régime » des mollahs. Voire envisager d’autres actions à l’intérieur de l’Iran. S’agirait-il de « l’imprévu » qui pourrait, selon le diplomate israélien, « faire que les choses aillent dans le bon sens » et qu’il serait impossible à Washington d’ignorer ?
Avec la Syrie, second exemple, la diplomatie américaine poursuit officiellement un dialogue : les déplacements répétés de l’émissaire américain Jeffrey Feltman à Damas montrent ainsi à la communauté internationale en général et au monde arabe en particulier, la bonne volonté de Washington. Mais le Secrétaire d’Etat adjoint par intérim au Proche-Orient explique en privé que les Etats-Unis ne se font « aucune illusion » sur une coopération possible avec la Syrie : le récent renouvellement des sanctions du Congrès contre le régime alaouite, obtenu avec le plein aval de la Maison Blanche, vient confirmer ces propos. Dénoncé le mois dernier par le Général Petraeus, chef du Commandement central américain des opérations au Moyen-Orient, le nouvel afflux de combattants étrangers qui passent par la Syrie pour se rendre en Iraq ainsi que le soutien ostensible de Bachar El-Assad au président iranien Ahmadinejad lors de sa récente visite en Syrie, n’augurent pas d’une inflexion de Damas sur deux sujets jugés éminemment sensibles à Washington.
Enfin, c’est peut-être au Liban que la diplomatie américaine, si l’on ose dire, se cache le moins : passage au pays du cèdre de Hillary Clinton réservant ses entretiens au président Sleimane et affichant son soutien à la coalition du 14 mars. Une escale suivie de la visite encore plus politique, quelques jours après, du vice-Président américain Joe Biden. En pleine campagne législative, le message de ce dernier fut on ne peut plus clair : la future aide américaine dépendra des résultats aux élections du 7 juin prochain.
Un situation électorale susceptible de se compliquer sérieusement après les surprenantes révélations du « Spiegel » : ce dernier mentionne des documents confidentiels du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) auxquels le magazine a eu accès et qui imputent la responsabilité de l’assassinat de l’ancien premier Ministre Rafic Hariri au Hezbollah. Des informations bienvenues pour Damas. Et un timing de leur parution -un « imprévu » programmé?- qui ne manque pas d’interroger sur une éventuelle exploitation électorale des informations détenues par le Tribunal. Reste à savoir si celui-ci osera délivrer un mandat à l’encontre des personnes citées dans ces rapports -un casus belli pour la milice chiite- et qualifier les faits, comme le défend une source interne au Tribunal, de « crime terroriste » voire de « crime contre l’humanité » car « commis dans le cadre d’une attaque systématique, concertée et liée à d’autres crimes »? En matière « d’imprévus », on le voit, la diplomatie américaine au Proche et Moyen-Orient risque d’être servie.