A l’approche de l’été, ils arrivent en cours chaussés de tongs, lui vêtu d’un bermuda multicolore, elle d’une petite robe de plage. Pliée ou roulée, la serviette éponge déborde des sacoches où elle a progressivement remplacé d’encombrants et d’inutiles classeurs. A Nice, il suffit aux étudiants de l’université de traverser la Promenade des Anglais pour se détendre au bord de la mer. La tête -faut-il l’espérer ?- encore plongée dans les séminaires, les pieds déjà dans l’eau. On fait assurément pire. Il faut pourtant se méfier des apparences : sous les galets se dissimule peut-être l’enfer.
Une enquête menée sur l’année 2005-2006 dans six universités de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et publiée récemment par le Bulletin de l’Institut de veille sanitaire montre qu’un étudiant sur quatre de première année souffre de troubles psychiatriques sérieux. Dépression et anxiété frappent encore plus les filles (33%) que les garçons (16,3%), phénomène souvent induit par une apparente résistance masculine puisée dans les contraintes de l’éducation et les appréhensions du regard social. Pour la dépression, les « deux tiers des troubles apparaissent après l’entrée à l’université ». Une concordance qui ne manque pas d’interroger les significations inconscientes des perspectives universitaires mais également l’état psychologique des jeunes qui y accèdent : profondes incertitudes sur leur orientation professionnelle rendues encore plus aléatoires par la méconnaissance de leur désir identitaire, urgence économique, voire sociale, de « s’établir dans la vie » pour alléger un fardeau parental, lui-même alourdi d’une dette psychique à l’égard des géniteurs, horizon particulièrement sombre d’une crise économique et financière dont les promesses de sortie sont déjà obérées par l’inéluctabilité des remboursements d’emprunts à effectuer. Sans parler du sentiment d’angoisse, national celui-là, lié aux risques de « déclassement social », en particulier pour les bacheliers et les échelons supérieurs dont le diplôme n’est plus jugé « pertinent pour accéder aux emplois de cadres ». L’observation, pourtant rapportée par Le Monde, du « décalage entre ce ressenti et les réalités », n’y change probablement rien.
Plus de la moitié des victimes d’une de ces pathologies mentales, en subissent les conséquences, « importantes sur leurs études ou le travail », leurs « relations avec leurs proches » ou leurs « relations sociales ». A fortiori pour les 76% de ceux touchés « conjointement » par la dépression et les troubles anxieux, une comorbidité nettement plus répandue. 30% du temps libre des plus de 15 ans, faut-il le rappeler, est d’ailleurs consacré à cette « sociabilité », cet apprentissage et cette connaissance de l’autre, en lieu et place de l’imago parental.
Si, finalement, à peine 30% d’entre eux consultent des professionnels de la santé mentale, la majorité des étudiants azuréens réclame -que la demande soit verbalisée ou mise en acte- une prise en charge sous la forme d’un suivi personnalisé de leur cursus : les formations professionnalisantes, ponctuées d’un accompagnement émancipateur de l’étudiant -projets tuteurés et stages encadrés à l’IUT de Nice, « coaching personnalisé » sur les cinq années de Master à l’Ipag pour ne citer que ces deux exemples-, connaissent un succès foudroyant.
Il est aisé d’en comprendre les raisons : dans un contexte marqué par une remise en cause du libéralisme clairement revendiquée par les politiques, il devient plus difficile d’exiger d’un étudiant dans la post-adolescence, de s’investir comme un adulte dans un réel indéfini et dépourvu de balises pour son avenir. N’est pas complètement fou celui qui refuse de saisir l’immatériel.