Après deux années d’un quinquennat présidentiel, marquées par une relative « léthargie » du commentaire politique au sein même de la majorité, une parole plus critique reprend, semble-t-il, ses droits. Signe des temps incertains, conséquence des doutes parmi les électeurs de l’UMP. Dans son livre, « La cité des hommes », un ancien premier Ministre s’inquiète d’une « France qui décroche » dans une Europe qui court elle-même le risque d’une « dislocation ». Un de ses prédécesseurs à Matignon parle cette semaine d’une « coupure entre la France d’en haut et la France d’en bas ». Le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale évoque pour sa part dans « Le Monde » « une nation qui se fissure en silence parce qu’il n’y a pas de discours sur l’identité ».
Sachons raison garder. Difficile, tout d’abord, de suivre sans sourciller Dominique de Villepin : les « techno-structures » contre lesquelles Jacques Chirac avait, pendant sa campagne électorale de 1995, tant promis de lutter se sont refermées sur l’Elysée quelques semaines après l’élection présidentielle. Une dynamique largement initiée par son Secrétaire général de l’époque lequel reprochait à certains des plus fidèles collaborateurs de l’ancien Maire de Paris de n’être pas énarques. Passons ensuite sur les propos du Maire de Bordeaux : des paroles un jour au vitriol suivies, le lendemain, des plus plates excuses prouvent qu’il n’a pas encore définitivement réglé sa « tentation de Venise ». Il est clair, enfin, que Jean-François Copé se sent pousser des ailes en évaluant les nouvelles possibilités qu’offre à la majorité parlementaire la réforme de la Constitution de juillet 2008 : le texte discuté en séance publique sera celui de la Commission et non celui du Gouvernement, à l’exception des projets de lois de finances, de financement de la sécurité sociale et des révisions constitutionnelles. En cas d’une disposition contestée par le Gouvernement et votée en commission, ce dernier devra en quelque sorte re-négocier et convaincre les parlementaires de sa propre majorité de revenir sur la version du projet. De quoi nourrir bien des ambitions sur bien des sujets de mécontentement.
Ces derniers ne manquent pas : taxe carbone, fiscalité locale, sans oublier la polémique Mitterrand, et, malgré la crispation difficilement compréhensible que provoque l’évocation du sujet à l’Elysée, la possible « élection » de Jean Sarkozy à la tête de l’EPAD. Il n’est d’ailleurs qu’à lire les sondages récents pour s’en convaincre : celui du « Figaro » du 15 et 16 octobre indique que 52% des Français se disent « marqués » par cette affaire tandis que 68% d’entre eux l’ont « évoquée en priorité cette semaine avec leur entourage ». Moins de prudence dans la consultation organisée par le « Parisien-Aujourd’hui en France » : « 64% sont hostiles à la candidature de Jean Sarkozy à la présidence de l’Etablissement public d’aménagement de la Défense ». On éludera pudiquement les titres peu glorieux de la presse étrangère sur cette question. On peut certes comprendre l’agacement de Nicolas Sarkozy qui, à juste titre, se sait « personnellement visé » dans ce dossier. Ce qu’on ne saurait reprocher au « bon père de famille », le Président de la république devrait toutefois accepter de l’entendre et de le comprendre: en période faste de croissance économique, où il a y, si l’on ose dire, du pain pour tout le monde, cette « élection » serait passée totalement inaperçue. Il en va autrement en temps de crise où, quoi qu’objecte le pouvoir, elle est vécue comme une provocation, en particulier chez les jeunes. « Malédiction des deux ans » comme le prétend Nicolas Sarkozy ? Ou vieille tradition de l’être humain à l’égard du pouvoir entre les mains caressantes duquel il se laisse, sans conscience, lentement glisser et enfermer?
Appelons-en à Plutarque : Qui sera, dans cette affaire, « l’ami véritable » de Nicolas Sarkozy ? Celui qui osera dire à l’autre ce qu’il n’a pas forcément envie d’entendre afin de le ramener au « logos », à la raison. « C’est surtout à l’homme heureux qu’il faut des amis au langage direct sachant rabattre ses outrances », enseigne le philosophe car « le bonheur va rarement avec la tête froide ». Mais il précise : « ceux qui osent dire la vérité à leurs amis au lieu de se montrer complaisant ne sont qu’une poignée », invitant ainsi dans son entourage, à ne pas « confondre l’ami et le flatteur ». Et le penseur grec d’ajouter qu’à « l’ami véritable » incombe le choix du « kairos », l’instant qui recèle en lui l’occasion propice de dire, de convaincre et de montrer aussi la manière de faire. Le moment politique, on en conviendra, ne saurait être plus opportun.