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22 novembre 2024

Lucio Silla à l’Opéra de Nice : un bijou d’art lyrique signé du Mozart adolescent

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Classique Mozart ? Dépassé le Maître de Salzburg ? Le message de « Lucio Silla », un opéra composé à l’âge de seize ans, n’en demeure pas moins universellement politique. Et complètement utopique, ironisait lui-même, à ce qu’on dit, le compositeur autrichien : a-t-on en effet jamais vu un dictateur féroce abandonner spontanément son pouvoir ? Libre adaptation d’un épisode sanglant de l’Empire romain rapporté par l’historien Tacite, l’œuvre de Mozart n’en comporte pas moins tous les éléments d’un « opera seria » : la gestation politique d’une trahison doublée d’un drame sentimental. Et un nécessaire « Lieto fine », un « happy end » rassembleur et dont la philosophie se doit de célébrer les hautes vertus de l’âme humaine.

Le metteur en scène Dieter Kaegi
Le metteur en scène Dieter Kaegi
On saluera donc l’excellent travail de l’Opéra de Nice pour la première, vendredi 19 février, de ce « Lucio Silla »: l’équipe venue des quatre coins de l’Europe a volontairement misé sur une interprétation qui repose sur de savants dosages : une modernité sans excès et une mise en scène dynamique de Dieter Kaegi, fluide mais néanmoins respectueuse dans sa scénographie de l’intensité dramaturgique pour les passages les plus émouvants. Il en va de même des costumes choisis par Bruno Schwengl : habits à la fois sobres et à même de rehausser, sinon d’éclairer sans aveugler les tempéraments des personnages. Une mention spéciale doit par ailleurs viser les danseurs du Ballet Nice Méditerranée et la chorégraphie de Liz Roche : leur présence, leurs lentes et méticuleuses évolutions dans l’ombre des artistes ont considérablement accentué la tension charnelle et enrichi la puissance lyrique du livret.

Daniela Bruera (Giunia) et Christine Knorren (Cecilio)
Daniela Bruera (Giunia) et Christine Knorren (Cecilio)
Dans cette œuvre, la distribution des voix reste une question épineuse : « Lucio Silla » combine en effet le registre de deux ténors (Lucio Silla, le dictateur et Aufidio, son complice), trois sopranos (Giunia, l’épouse prisonnière, Celia, la sœur du tyran et Cinna, l’ami du héros en fuite) tandis que le personnage de Cecilio, le sénateur romain en exil, était, à l’époque, réservé à un castrat. Passons sur le rôle titre de Lucio Silla, interprété au pied levé par le ténor Matthias Klink en remplacement de Bruce Ford et dont la piètre performance bénéficie ce faisant de circonstances des plus atténuantes. Paradoxe de cette œuvre puisque Mozart a retiré à ce caractère principal deux des quatre arias écrits pour lui à l’origine. Son complice Aufidio joué par le coréen Min Seok Kim s’en sort nettement mieux même si les exigences vocales du personnage sont plus limitées.

Eleonore Marguerre (Lucio Cinna) et Daniela Bruera (Giunia)
Eleonore Marguerre (Lucio Cinna) et Daniela Bruera (Giunia)
Dans le rôle de Giunia, la soprano Daniela Bruera nous fait malheureusement un peu trop languir jusqu’au troisième acte : elle y charme littéralement le public dans son grand air « Fra i pensier piu funesti di morte » où sa voix se débarrasse -enfin !- de cette récurrente sécheresse qui la rend particulièrement désagréable dans les aigus des deux premiers actes. Un incommensurable regret pour le mélomane qui appréciera par ailleurs sa tessiture et les qualités de son jeu dramatique. Bien connue du public niçois pour sa magnifique interprétation d’Eurydice en avril 2009 et celle d’Agilea dans le Teseo de mars 2007, la soprano Brigitte Hool conserve intacte la qualité de ses notes hautes même si ce rôle semble ne pas lui donner l’occasion de montrer toute l’étendue de son art. Gardons, si l’on ose dire, le meilleur pour la fin : Christine Knorren forme avec Eleonore Marguerre un duo vocal inoubliable. La première émeut par une voix de contre alto stable, ample et chaude qui sait facilement enchaîner d’harmonieuses vocalises et un chant plus intimiste sans jamais quitter le registre de l’intense émotion. Très à l’aise dans son jeu scénique, la mezzo-soprano allemande l’est tout autant dans l’exploitation équilibrée de son spectre vocal. On ne pouvait qu’applaudir à son interprétation à l’acte I du « Il tenero momento » de même que l’Andante et le récitatif accompagné « Morte, Morte fatal ». Celui-ci précède l’intervention -superbe- des chœurs de l’Opéra de Nice dans un « Fuor di queste urne dolenti » dont certains accents sombres annoncent le final du futur « Don Giovanni ». La réplique que lui donne la soprano originaire d’Heidelberg est au diapason : avec une voix aux sonorités limpides et plaisantes dans les aigus, Eleonore Marguerre apporte, de manière très convaincante, sa contribution à l’écheveau dramatique de ce « Lucio Silla » niçois.

La direction musicale de Guido Rumstadt ressent fort heureusement la sensibilité particulière de cette partition mozartienne. Sous sa baguette, l’Orchestre régional de Cannes Provence Alpes Côte d’Azur relève le défi d’une musique beaucoup plus élaborée qu’elle n’apparaît à l’oreille de l’auditeur. Mozart, même adolescent, n’en reste pas moins Mozart.

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