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22 novembre 2024

L’Edito du Psy – Réponse à Hans Küng sur la pédophilie et le célibat des prêtres.

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jpg_bobine2008-80.jpgDans une tribune du Monde intitulée « Pour lutter contre la pédophilie, abolissons le célibat des prêtres » (5 mars 2010), le théologien suisse Hans Küng impute la responsabilité de la pédophilie chez certains d’entre eux au dogme ecclésial du célibat, « l’expression la plus frappante de la relation crispée qu’entretient la hiérarchie catholique avec la sexualité ». Tout en « dénonçant les erreurs d’appréciation » du président de la Conférence épiscopale allemande à ce sujet, il rappelle la liberté fondamentale énoncée, selon lui, par l’Evangile d’une « vocation librement consentie ». Une « Charisma » renforcée par la « concession » de saint Paul aux humains, contenue dans la première Epître aux Corinthiens : « Mais s’ils ne peuvent vivre dans la continence, qu’ils se marient car il vaut mieux se marier que brûler » (1er Cor.7,9). Tout en mentionnant la vie maritale de Pierre et « d’autres disciples du Christ tout au long de leur apostolat », l’auteur du très controversé « Infaillible » de 1971 rassemble dans une même critique la « règle du célibat, celle de l’absolutisme papal et celle du renforcement du cléricalisme ». Et leur conséquence : une séparation entre le clergé occidental et le peuple chrétien.

Malgré une argumentation solidement étayée, la pensée de Hans Küng semble s’arrêter en chemin. Et manque finalement l’essentiel. La sexualité des prêtres est une chose. La pédophilie de certains d’entre eux en est une autre. Que la fin du célibat constitue un remède apaisant pour la première, cela va de soi. Si elle ne lui est pas indifférente, l’option du mariage ne saurait toutefois épuiser les interrogations que soulève la seconde : la nature de la pédophilie et la signification inconsciente de l’engagement sacerdotal. Examinons les deux aspects de cette question.

La puissante influence répressive de l’Eglise a toujours porté sur le savoir assimilé à la sexualité dont la femme est, si l’on ose dire, la dépositaire exclusive. Dès le moyen âge, le refoulement de la connaissance exigé par Rome a suscité en réaction « une quête passionnée de la pierre philosophale et de l’élixir de vie ». Quant à la sexualité, derrière la croyance au maléfice, expliquait déjà le biographe de Freud, se cache la peur humaine, fondamentale, de l’impuissance ou de la faillite des fonctions sexuelles ». Incriminées dans les procès en sorcellerie, les guérisseuses ou accoucheuses suscitaient la méfiance par l’utilisation de leurs plantes « consolantes » et autres dérivés de la Belladonne, destinées à calmer les douleurs de l’enfantement. Elles semblaient ainsi s’opposer aux dogmes de l’Eglise qui tenaient ses souffrances pour une juste punition du péché. Qu’il s’agisse du « Manuel des inquisiteurs » de Eymerich (1376) où l’usage de philtres d’amour entraîne une suspicion d’hérésie, du « Malleus maleficarum », premier recueil officiel des crimes des sorcières (1486), qui contient une étude détaillée sur les moyens féminins à même de provoquer l’impuissance, ou, enfin, du paradigme de Jean Bodin (1580) associant « sorcellerie et démesure féminine » et où la sorcière pose un « défi permanent à la souveraineté du père en lui opposant une puissance maléfique sexuelle et destructrice », c’est bien la femme, l’être sexuée qui semble visée par les imprécations cléricales. Dans les indications destinées à permettre à l’Inquisition de confondre une sorcière, la femme qui pratique l’acte sexuel en dominant physiquement l’homme signe son aveu devant les tribunaux et scelle du même coup son funeste destin sur le bûcher. Ce qui représente d’ailleurs un fantasme récurrent chez les hommes, reste aujourd’hui encore lié à l’une des grandes peurs masculines inconscientes de la femme : celle qui dévore et accapare son énergie sexuelle tout comme celle qui est aussi capable, rappelle Françoise Héritier, d’un « détournement dévoyé » de sa semence comme en témoignent les réflexions parfois entendues au sein de l’Eglise sur les nouvelles techniques de procréation. Connaissance et sexualité se tiennent donc au croisement des notions de faute, de culpabilité et de dettes, grosses de souffrance psychiques ultérieures fréquemment rencontrées en psychanalyse. Supprimons le célibat, semble dire Hans Küng, la faute « religieuse », la plus lourde de conséquences, sera supprimée.

Ce raisonnement sied difficilement à la tendance pédophile où l’expression du besoin sexuel emprunte des voies plus complexes et pathologiques. La pédophilie renvoie en effet à la sexualité infantile où l’attouchement corporel multiple signe la nature polymorphique de l’excitation -la peau fait fonction d’organe sexuel- et souligne le plus souvent l’absence de choix d’objet, masculin ou féminin. Elle vient en lieu et place d’une sexualité génitale et adulte perçue comme inaccessible et dont le non franchissement sert d’ailleurs la prétention de maintenir une forme d’innocence dans la psyché de ses acteurs. Dans le cas de prêtres pédophiles, la perversion consiste notamment dans le détournement, inconscient et à leur profit, de l’autorité contenue dans « la parole divine du Père », entraînant cette « confusion de langue », ce dialogue déséquilibré et chargé implicitement de sexualité entre l’adulte et l’enfant, notion élaborée par le psychanalyste Sandor Ferenczi.

Là où le mariage des prêtres viendrait, si l’on ose dire, consacrer pour ceux qui le désirent, la liaison des forces pulsionnelles entre sacerdoce psychique et sexualité physique, la fin du célibat ne résoudrait en rien la pédophilie de certains prélats : le mariage offrirait à peine l’occasion d’une nouvelle feinte, garantie et codifiée par le pouvoir structurant de la religion. Celle-ci jouerait encore un rôle de compensation par rapport aux expériences antérieures de frustration : la compulsion de répétition, le besoin irrépressible de la proximité corporelle avec l’autre trouvent, on le sait, leur conjuration provisoire dans le renouvellement effréné du rite, moyen de limiter l’angoisse de culpabilité. « La prière est souvent le cri de l’homme menacé et l’intensité religieuse suit la courbe du danger », explique le prêtre et psychanalyste Antoine Vergotte, spécialiste reconnu des formes pathologiques de la religion (Psychologie religieuse, Charles Dessart Editeur, Bruxelles, 1966). En ce sens, la fin du célibat ne pourra satisfaire que ceux des religieux qui sont psychologiquement disposés à la vie en couple. Nombre d’entre eux, hétérosexuels comme homosexuels, l’expérimentent déjà, dans la dissimulation.

Est-il finalement envisageable de rejoindre la réflexion du théologien sur la responsabilité de l’Eglise, en particulier celle, selon lui, « de la discrète Congrégation pour la doctrine de la foi qui a pris en charge tous les cas graves de déviance sexuelle sur la base du secret le plus absolu » ? Ce serait oublier l’un des fondements du dogme chrétien : « la faute religieuse est dépassée au moment même où elle se manifeste à la conscience du sujet », rappelle Antoine Vergotte. Pour l’Eglise, La faute se dissout dans l’aveu et dans « l’assentiment à la parole divine ». Au risque, pour rester paulinien, d’une simultanéité sinon d’une confusion entre la « défaillance » et la « grâce ».

Avec la fin du célibat souhaitée par Hans Küng, le Nouveau Testament revisité rejoindrait, rêvons un peu, le Talmud où l’accouplement le soir du Shabbat participe de l’harmonie avec l’Ineffable. Malheureusement, comme Michelet le reprochait à l’église romaine de son époque, le « spiritualisme tout angélique » professé par Rome rejette les vicissitudes du corps et réduit la vie à « une épreuve ». Une femme qui dort seule, dit pourtant un proverbe oriental, dort avec le diable.

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